Monique Bernier, Les hibiscus sont toujours en fleurs , roman, éd. M.E.O. 2020.

Prise d’une irrépressible envie de retourner au Rwanda plus de deux décennies après le génocide, Charlotte décide de s’y rendre seule malgré le danger pressenti de parents devenus pour elle éloignés de son existence et peu enclins à ce qu’elle tente l’aventure.

Le besoin de savoir motive ce roman qui, bien sûr, nous rappelle les massacres des années concernées : « Le fond de la valise est tapissé de romans et de témoignages de victimes rescapées du génocide. Quel courage, quelle force intérieure leur aura-t-il fallu pour raconter l’enfer qu’ils ont traversé, pour dire comment ils se sont cachés, comment ils ont vu leurs proches sacrifiés, mourir dans la douleur ?».

Sera-t-il possible à Charlotte de comprendre, si une compréhension est humainement possible, de savoir ce qui s’est passé quand elle avait dix ans ? Que sont devenus son ami Daniel et Nounou ?

But premier : retrouver ses repères et des souvenirs positifs si possible.

Le cours de vie de Daniel, son ami d’enfance, a-t-il été, comme le sien, bousculé malgré lui dans la folie meurtrière des hommes ? S’est-il laissé aller à des massacres ? La réponse vient vite : « Daniel n’avait pas d’alternative : il devait tuer ! Du haut de ses treize ans, il devait ôter la vie à d’autres qui ne lui avaient rien fait. C’était son devoir s’il était un vrai Rwandais. Son devoir s’il aimait ses parents ».

Avec le sang coagulé sur le souvenir des machettes, le pays peut-il enfin passer à autre chose, redécouvrir les beautés longtemps cachées ? Et les hommes, victimes ou bourreaux, se reconstruire ?

Le livre tente une approche psychologique à vouloir comprendre le mécanisme engendrant l’acte improbable : « Il n’était plus lui-même et ne voulait plus être lui-même. Devenir un autre. Être un autre, celui que Théoveste avait décrété qu’il serait. A force de le désirer, il l’a cru. Un inconnu avec une machette. Une machine à obéir. Un corps pour blesser, un bras pour tuer. Ce bras appartenait à la cohorte sauvage, un membre indépendant de lui-même, un organe autonome qui ne cessait de s’abattre sur les innocents ».

De fil en aiguille, des vérités pas toujours bonnes à découvrir, y compris du côté des non autochtones, vont-elles être révélées, faisant ressurgir autant de responsabilités : « Y a-t-il une différence entre tuer et laisser tuer ? Une différence entre donner la mort et regarder mourir sans bouger ? ».

Poser la question, c’est sans doute y répondre.

Les hibiscus seront- ils toujours suffisamment en fleurs pour des retrouvailles tant espérées ? Jusqu’où se conservent des souvenirs d’amitié une fois le champ de mines de l’horreur traversé ?

En dehors des peines prononcées et relativement légères (on ne condamne pas les actes de génocide de la même façon qu’un meurtre de droit commun), le bourreau n’est-il pas, d’une certaine façon, condamné à perpétuité par sa conscience ?

Le roman pourrait susciter le débat de la responsabilité personnelle en cas de manipulation par autrui nettement avérée. Idem pour ce qui concerne la passivité (clairement évoquée) de certains éléments d’organes internationaux officiels sensés maintenir la paix.

Les actes sont clairement décrits avec une réalité criante qui, sans doute, laissera plus d’un lecteur sans voix. Le style, très scénique, est particulièrement bien mené en ce sens.

Patrick Devaux