Nathalie Boutiau, Ainsi court le chemin, récit,préface de Marcel Voisin, éd.Academia, 2020, 110 p., 12,50

Dès le titre, une image très judicieuse et surtout très juste: le chemin, c’est celui qu’une tradition toujours pionnière, des parents aux enfants, trace à travers le temps, le vie, l’histoire, avec un grand ou un petit h.

Il est vrai que Nathalie Boutiau a le don des images justes, des métaphores qui vous font pénétrer au coeur des êtres et des choses. Ainsi, comme un fil d’or tout au long de ce récit à la fois sensible et discret, l’échange des rôles entre le père et la fille: cette petite fille sur laquelle il veillait, qu’il tenait par la main, c’est elle à présent qui prend soin de son linge, de son corps. Le récit ne se perd jamais en des considérations générales qui ne seraient que des vues de l’esprit: il s’ancre toujours dans le concret, dans le physique, et c’est bien ainsi que vont les choses de la vie. Mais écoutons la plutôt:

p.17: Aussi devrait-il y avoir quelque part dans une armoire oubliée un parfum d’enfance qui nous plonge dans le passé. p.19: Car il y a des petites choses très discrètes qui ne portent pas de nom et c’est déjà beaucoup.p.24: Je n’ai jamais appris à habiller mon père Il y a dans ces gestes pour lui une douceur que je ne sais nommer. Le moindre mouvement se fait lentement avec cette peur incontrôlable de ne pas y arriver. Sous nos peau qui se touchent coule le même sang. Nous sommes, lui et moi, au plus nu de cet instant de grâce que nous seuls comprenons. C’est intime et particulier.Et plus loin, à la même page: Mon père se plaint quelquefois.d’avoir froid. Son corps, alors, me renvoie l’image d’une petite chose très fragile et précieuse sur laquelle il faut veiller. Le toucher, c’est comme toucher quelqu’un qui serait sans défense Et je sais qu’il n’est pas malade A moins que la vieillesse soit considérée comme un mal à soigner? et dans la suite, p.25:  Papa me regarde faire comme le ferait un petit enfant. Il est toujours assis sur le lit, les mains croisées sur son pantalon. Dans ses yeux dansent encore des étoiles. Ce temps donné est une offrande faite à la vie, une promesse d’amour intime et silencieuse que nous nous accordons.

Mais je m’arrête: je vous citerais ainsi les trois quarts du livre. Vous remarquerez au passage que ces qualités de la pensée et du coeur que bous signalions au début de cet article sont aussi les qualités du style de Nathalie Boutiau: une légèreté de touche, des avances quasiment imperceptibles. Rien de raide ni de catégorique, une progression lente, qui s’ébranle et vous emporte, comme une grande marée. Et la force qui soutient, supporte cette marée, c’est tout uniment le plaisir de vivre, d’être ensemble, cette joie incluse dans les petits gestes de la vie, une joie éclose à force de temps et de patience. Une joie qui manque trop souvent à notre société toujours pressée dans la recherche du neuf, de l’inédit, et qui oublie de ce fait le lent apprentissage du temps, qui est, comme elle le dit si bien, source de la joie.

Chacun des courts chapitres est terminé par un poème bref, et la prose et les vers s’entrelacent harmonieusement, en ce style fluide qui est tout entier de poésie et de joie, même dans la peine. Et quand elle quitte le domaine du sensible pour passer à celui de l’intelligible, au monde des idées, il reste toujours un fil d’or pour assurer leur liaison. C’est pour cela que l’image du chemin est particulièrement adaptée à ce titre, Ainsi court le chemin: 

Nous sommes tous dans cette même lumière, tous atteints de cette envie légitime de parcourir des chemins de terre Ceux qui nous ramènent à la vie, parce que creusés de vent, de pluie, de silence et de toutes ces larmes versées pour ceux qui nous ont quittés Et tandis qu’on y repense, nous reviennent en pointillés toutes ces images belles ui ont jadis bercé notre enfance. (p.96)

Joseph Bodson