Nathalie Wargnies, la Nébuleuse du clown, éd. Filipendule, 2019, 18 €

Roman, recueil de poèmes, de maximes? Un peu de tout cela, sans doute, comme si l’auteure avait voulu tresser une couronne de quelques genres littéraires, à la fois les plus vifs; les plus animés, les plus doux, les plus tendres, pour célébrer…quoi, au juste? La vie, tout simplement: le dernier texte, nous y reviendrons, nous le dit clairement. En fait, les chroniques multiformes d’une identité perdue. Et, en ce qui concerne le style, peut-être une allusion un peu lointaine au Jeu de Robin et de Marion, où se mêlent aussi les genres. Or; se dit…Or, se chante...Le passage du phrasé au musical est presque imperceptible, mais il est essentiel. Une légèreté de touche remarquable, qui ne manque pas de s’affirmer, quand il le faut, en certitudes très palpables. Et les dessins de l’auteure vont dans le même sens.

Mais rien ne vaut que de l’entendre.Ainsi, Le coeur du berger, p.24:  Il est désolé. Pour nous. Pour lui. il n’a rien compris à sa vie. Tout peut basculer, si vite. Il souhaitait plus vrai. Plus lumineux. Mais les chaînes. Mais la bêtise. Vous remarquerez au passage, et c’est de grande importance, la prépondérance du point parmi les autres signes de ponctuation, et du coup, les nombreuses élisions, ce qui correspond à ce que nous disions de la légèreté du style. La prépondérance du non-dit, du sous-entendu, du sous–tendu.

Mais j’aimerais surtout vous faire entendre le dernier texte, L’embouchure de la rivière, qui est un peu un couronnement, et une apothéose, de tout ce que le reste du livre laissait ou faisait entendre::

La vie est bouleversement. Pourrait-il en être autrement. Je vous écris de la Nuit du Grand Chavire.N’empêchez pas le tremblement qui naît. Ne me stabilisez à aucune amarre. Soyez complice de ma Grand-Voile. Mon existence émigre vers un continent qu’on m’a caché. Mes Atlantides. Je pars. Je me quitte pour aller à ma rencontre. Chemin filigrane depuis toujours.

Je vous écris d’une genèse. La poésie sinon rien. La poésie sinon la vie n’est pas la vie. Plutôt mourir que de vivre endormi. Je pars. Je me mets en verbe.L’âme en étendard. Je mouve. Me mets en déroute En quête de terres fertiles où je puisse m’accoucher. Je lève l’encre vers mes cursives campagnes.

Je vous enverrai partitions poèmes. Géographie d’une existence. Laissez-moi bouleversée. L’orage m’attend, fébrile de me savoir neuve. Réjouissez-vous.

Etrangement, dès les premières pages de ce livre, j’avais, comme une intuition, le sentiment d’assister à une naissance. Et c’est bien ce que disent, comme un chant de Noël à la fois très neuf et déjà très vieux, les derniers mots du livre: Réjouissez-vous.Je ne reviendrai pas sur les procédés du style: une interrogation qui devient affirmation de par l’inversion et l’absence du point même . Les métaphores hardies, qui ont la force de l’allégorie, moins le pathos. Le verbe pour la verve. Etendard, le signe du départ. Et ce goût de vent marin, sensible même au vieil homme que je suis. N’est-ce pas Valéry, la raison même, qui a écrit: Le vent se lève. Il faut tenter de vivre. Oui, même aujourd’hui, il faut tenter de vivre. La plus grande et la plus belle des tentations. Rimbaud, parfois, rêvait à Colomb, lui, l’enfant amoureux de cartes et d’estampes. Et ce sont là nouvelles naissances, mettant la mort en péril.

Joseph Bodson