maliconiCarnières, Lansman, 2014, coll. Chaire de Poétique, 70 p.

Un lecteur qui découvre ou apprécie un auteur a rarement l’occasion de pénétrer dans son écriture. Cette fois, il aura l’occasion d’en arpenter le territoire, de se rendre compte qu’écrire est autant un travail qu’un besoin à travers des conférences données par Nicole Malinconi.

Elle n’écrit pas de fiction. Ce qu’elle produit n’a rien à voir avec le roman ou la nouvelle, ni l’essai, ni la confession, ni la biographie, ni le témoignage. Pas vraiment avec la poésie non plus. Ce qu’elle pratique, c’est être au départ une sorte d’éponge ; c’est « de l’écriture à partir de la vie des gens et des mots ».

Ce sont ces derniers qui conditionnent, nourrissent les pages qui se remplissent. Ceux-là mêmes qui tentent d’exprimer l’intériorité du vécu, « disant de l’humain », ayant une porosité avec le réel.  Ce qui la pousse à rédiger, ce sont « les affres de l’existence, les ratages, les méprises, les évitements, les omissions, les secrets » ainsi que  le manque de réponse aux questions que se posent les humains, tout en sachant qu’il est impossible de parvenir à dire exactement ce qu’on espérait dire. Sachant aussi que c’est « ce manque qui fait qu’on persiste, qui sans doute fait l’écriture », celle « pour tenter de dire le frôlement et l’inaperçu ».

Ses livres ont donc d’abord été nourris par les paroles qu’elle a entendues de la part des femmes venant avorter parce qu’elle n’avait pas d’autre choix (Hôpital Silence), celles qu’elle a écoutées de l’ex-épouse de Marc Dutroux (Vous vous appelez Michelle Martin), les siens propres durant sa psychanalyse (Séparation), celles issues du parler originel de la mère (Nous deux) ou du père (Da Solo). C’est à la fois ce qui a été dit à travers les mots et leur musique.

Pour elle en effet, il y a, dans cette perception en quelque sorte sonore, un dépassement du fait qu’un mot a d’abord été appris comme une connaissance nouvelle avant d’être réellement approprié par la personne. Pour elle, cependant, l’écriture n’est en rien une thérapie. Il y a là un travail à partir du magma intérieur dans lequel on puise.

Elle écrit par nécessité. « Mais la nécessité n’a rien d’un but, elle tient du désir, elle est comme lui, impérieuse et dérangeante en même temps ». Conséquence, « dire n’est pas parler. Dire, c’est perdre la certitude, c’est se risquer au vide. Écrire aussi ». D’autant que,  paradoxalement, « il faut néanmoins parler pour dire, ne pas oublier la chair des mots ». En ajoutant également que l’écriture est « engendrée par les difficultés à dire, les impossibilités de dire de la langue, […] par les impossibilités, difficultés, tentatives ou refus de dire de l’existence, des gens ».

On pourrait conclure cette édition des quatre causeries données par Malinconi à l’UCL par cette constatation : «Au fond, on ne décide pas comment on écrit ; c’est un mystère ; c’est comme le visage ; ça ne tient qu’à votre vie trouée ; peut-être que tout le travail consiste à le reconnaître ». Mais ce qui semble être, c’est que « L’écriture fait violence, car elle brise le rêve de tout dire, comme elle rompt avec la tranquillité de se taire ». Et qu’en utilisant des mots qui sont communs à toute communication (informative, scientifique, philosophique, analytique…), il semble que l’écriture les sépare « alors du côté utilitaire qu’on leur impose le plus souvent », côté qui n’exige que l’efficacité, la rapidité de sa transmission au détriment de la complexité, et, en dernier ressort, de la pensée.

Michel Voiturier