Olivier Terwagne, L’automne en juillet. Poèmes et impromptus, Editions Traverse. Collection Carambole, 2023.

L’automne en juillet d’Olivier Terwagne, publié chez Daniel Simon, aux éditions Traverse, à Bruxelles est le quatrième livre de l’auteur, dans la prolongation de Momentanément absent, où les questions de mémoire et d’étirement du temps étaient déjà bien présentes. Les photos sur la couverture, magnifiques, sont signées Benoît Host.
Si l’on confronte le titre de ce nouveau recueil avec sa date de publication, on s’aperçoit que, comme dans ses précédents livres, l’auteur joue avec le temps, puisque le livre, dans un automne fictif d’avant l’heure, est précisément publié en automne. On nous devait bien une réflexion inaugurale sur les contours étymologiques de l’automne :
« Le mot « automne » est emprunté dès le XIIIe siècle en ancien français au latin « autumnus », terme d’origine étrusque (« autu ») importé par les Romains. Ces derniers l’ont rapproché par syncrétisme du verbe « augere », qui signifie « augmenter ». Chez les Grecs, notons-le, le mot automne n’existait pas. On parlait de la période « après-été » (« opora ») puis de celle « au-delà de l’opora » (« metoporon »). Par ces deux mots, ils distinguaient ainsi le passage de l’été à l’hiver. » (7) D’après le Dictionnaire historique de la langue française, 1995.  »
Publié en automne, le texte puise ses lueurs dans un été pourtant pourri, ce qui relève de la gageure. Ces poèmes et impromptus estivaux tirent le portrait stationnaire du monde comme il tourne, au prix de certains dérèglements paradoxaux des saisons, autour de questions qui affleurent dans l’univers des trois personnages principaux.
Le solide bagage d’historien et de philosophe de l’auteur nous rappelle, à une époque où la refonte du calendrier des rythmes scolaires confine à l’arythmie, que les changements de nomenclatures temporelles sont chroniques dans l’histoire ; reste donc à se réjouir de pouvoir célébrer en chaque instant « l’automne des poètes » avec Olivier Terwagne, à l’abri des polémiques :
« Le calendrier est donc une affaire de politique. La République française en 1792 a remplacé tous les noms des mois dans le champ sémantique de la nature vivante. Fructidor, Vendémiaire, Brumaire, Nivôse, Pluviôse… Le choix des mots dans la structuration du temps en dit long sur le rapport au monde ». (78)

Un très bon livre, intéressant esthétiquement, parce qu’il conjugue deux temporalités distinctes, deux saisons – l’été et l’automne – en pariant sur leur unité, fondue dans une voix prise instantanément. Cette qualité dans l’unité de la voix, les musiciens savent qu’elle est difficile à obtenir. En effet, les voix de l’aube et du crépuscule sont parfois distales. Dans l’écriture de ce texte, la voix poétique, impossible à confondre, est étrangement juste, malgré une fragmentation dans des styles différents, selon que l’on se trouve dans la partie « I Préquel », dans « Episode II – impromptus générationnels » ou dans « Episode III séquelle ». Les vers à lire dans « I Préquel », débouchent sur des « impromptus », parfois proches du conte, et les « séquelles » nous offrent des aphorismes, comme celui-ci : « tout ce qui a besoin d’être vécu doit s’écrire/le monde est un prétexte à la poésie /a écrit Cioran dans un anathème /dont je ne retrouve plus le titre /à force d’égarer mes sources /je me retrouver tari /ou taré (90)». La voix de l’été « s’étire » dans les textes plus longs du milieu, comme on peut l’apprécier dans ce passage : « L’été s’étire, se rétrécit, s’élastique et les enfants des réseaux- villes trop cosmopolites pour être honnêtes découvrent un village à l’ancienne. On y passe sans vergogne du moulin à la mairie, de la mairie à l’église, de l’église au café, du café à la boulangerie, de la boulangerie au cimetière. Ici, tout est local. Le comité local, l’entente local, l’association de parents, la fabrique d’église. La messe célébrait les funérailles locales. L’enfant prit peur à la vue de l’hostie. Manger le corps d’un homme, même symboliquement, ne relevait- il pas du pénal ? Il subsistait le chemin des Macrales et l’allée des Templiers qui rappelaient au village son bon souvenir médiéval. Ces deux chemins croisaient le fer au bord de la maison de la fille dite ‘de la rue l’orée du bois’. » (65)
Dans la troisième partie du livre, on avance vers des jours plus sombres, au caractère automnal, annonçant la réduction de la luminosité proche de l’hiver. La réduction du propos, jusqu’à l’aphorisme, se marie bien avec l’automne qui voit la fonte des jours. Voici un passage qui illustre le même thème de l’étirement de l’été, dans cette dernière partie du livre :
« Le monde est visité
Depuis long feu déjà
Je ne sais plus où aller
L’été crépusculaire s’étire
Et nous met en joues roses
J’ai rendu les clés
De mes vies passées
J’ai oublié de faire un double
Au cas où je voudrais y retourner
M’y installer comme dans un hôtel
Je crains hélas
Que les serruriers ne copient plus ce modèle
Trop original. (110) »

On sait l’auteur capable de jongler avec les instruments et on retrouve cette même aisance dans la polygraphie (poèmes, contes, aphorismes). La musique des mots est à l’honneur dans cet ouvrage où l’on apprécie l’alternance de textes courts et de nappes de notes qui viennent garnir le propos, un peu à la mode des « impromptus » de Schubert. Enfin, et c’est une belle qualité, on apprend nombre de choses, en se distrayant par la poésie et de l’esprit qui habite ce texte. Ce n’est évidemment pas une poésie didactique, mais l’auteur se sert de l’histoire, de la philosophie et de l’Antiquité pour donner la sensation au lecteur qu’il apprend tout en suivant le fil des saisons choisies. Comme dans ses livres précédents (voir notamment Soleil sur le Nihil), on renoue avec le sens aigu de l’observation de l’homme de l’auteur. Ses personnages féminins, attachants, sont décrits avec une sobriété qui tranche avec certains passages proches de l’exposition démonstrative. Autant « La fille de l’ambassadeur » que « La fille de la rue l’orée du bois », qui « Vit sans réseau/ Ivre de livres de poésies /Du pain du vin de l’eau » (27).
Le décalage est constant dans ce livre. Reflet probable de la position d’une voix qui suggère : « J’ai toujours mal vécu les transitions. De la troisième maternelle à la première primaire, déjà. Le drame du passage. La tragédie du changement pour quelqu’un qui ne peut pas rester en place une seule seconde ».(80) « L’été assigne à résidence la nostalgie de l’enfance (24) ». Le décalage sera donc soit horaire, humoristique, ou touchera plus globalement l’homme en perte de repère, condamné à chercher sa place sur terre, s’insérant dans le décalage des saisons qui finissent par se ressembler toutes. On a l’impression que le personnage masculin est descendu du train de l’histoire à la mauvaise période: « Je me suis trompé d’époque / gouré dans l’horaire la voie trois/ plutôt que le quai dix/ entre l’opaque et l’épique/surgissent/ les monstres du grand capital/ ou d’une souveraineté populaire/ complètement à la masse ». (31).
Les amateurs de bons mots seront ravis. Car la magie du mot est bien la seule qui soit chroniquement ponctuelle dans ce texte : « Les gares orphelines attendent les voyageurs en voie d’adoption mais le train trace sans crier gare à quoi pensent ces arrêts où plus personne ne descend ? » (13). On y apprécie de nombreux jeux de mots, et l’on voyage ainsi en « pays en voie de développement personnel durable ». La mode du développement personnel amuse l’auteur qui l’attaque encore dans la deuxième partie de son ouvrage. « Episodes II- impromptus générationnels. « Ils vécurent en harmonie avec eux-mêmes, pleinement développés personnellement dans une relation non toxique / Jusqu’à la fin de leur prochaine déconstruction/ Ils eurent beaucoup d’enfants fluides du genre.(46) »
En définitive, un livre brillant, qui repose sur l’unité, que l’art du paradoxe, si cher à l’auteur, attaque, dans ses derniers vers, au nom d’un amour pour le ou plutôt les pluriels.
114. Voici mon cadeau d’automne
Sous les guirlandes de feuilles mortes
Embrasez- vous
Et pas la peine de vérifier !
Je n’ai pas oublié de s
J’ai sans cesse élu le multiple
Au lieu de l’unité
Et toujours mis un x
À Dieu

Et si c’était une invitation pour découvrir les autres livres de l’auteur ? Ce dernier ne nous prévient- il pas qu’« il vaut mieux papillonner entre les livres qu’être fidèle à Un Seul livre » ?(91)

François Degrande