Patrick Devaux, La main heureuse, Douai, Douayeul, 50 p. Prix des Beffrois 2011

Un minimalisme d’atmosphère urbaine intemporelle

Dans la droite ligne de l’écriture de Malcolm de Chazal (1902-1981) découpée en lignes courtes de manière à étaler un minimum de mots en chacune, Patrick Devaux transcrit des moments brefs nourris d’impressions. C’est une manière de procéder qui a des parentés avec les haïkus, un peu moins avec l’aphorisme dans la mesure où il ne s’agit pas d’exprimer une réflexion philosophique mais bien de témoigner une parcelle de vécu individuel au sein de la temporalité d’une entité citadine.

En conclusion à sa préface, Françoise Lison-Leroy résume parfaitement le projet de Devaux : La poésie naît d’une ville. Là où il se trouve, l’auteur perçoit. Il entend, il sent, il regarde un pays qui est aussi bien sa natale Wallonie picarde que ces Hauts-de-France avec lesquels depuis longtemps il n’y a plus de frontière. Il restitue une impression, la transmet. Comme s’il montrait à la personne qui le lit une série de photographies prises lors d’une promenade.

La vision est concrète. Elle débouche néanmoins sur un espace où le non-dit inhérent à l’économie de mots ouvre vers un supplément imaginaire suggéré au lecteur : les cités / du Nord // aux doigts / d’archange / tâtonnent / le ciel // de // leurs grandes ailes / de / brume ; la localité y affirme une existence ancrée dans le temps :  d’une place / à / l’autre // les lucarnes / et / les façades // penchées / vers / les pavés // n’ont pour doute / historique // que // leur éternel / reflet / de pluie.

Il y a là un inventaire qui ne s’attarde pas sur des repères précis liés à l’histoire mais sans pour autant omettre des éléments du présent : les architectes / aux / équerres / souples // n’ont pas / prévu // la violence / des / vitrines // il faut alors / savoir / conclure //  par / un silence / de / volet.

Un détail, quelquefois, attire l’attention sur une détresse ou un abandon comme je sais / le cri / d’amour // d’un bac / à fleurs // il pose / nu // par // manque / d’eau. Ou bien s’oppose à la complexité urbaine d’aujourd’hui : de temps / à / autre // un jardin / de / plantes // fausse / compagnie // à / la ville // étonnée / de / tant de verdure // en / une fois.

Demeurent de toute façon des liens entre autrefois et maintenant par des vocables rappelant que les cités et leurs habitants ont hérité des périodes antérieures (cloche de bronze – beffroi – gargouilles – cathédrale romane – ogive – ruine – terrils – cité moyenâgeuse…) : Il / n’y a pas / de / foule urgente// seulement / des passantes// au regard / de vitraux // fissurés / d’une tendre / lumière.

A comparer ces vers à ceux des poètes de jadis qui traitèrent des bourgades flandriennes comme Verhaeren ou Rodenbach, on se rend compte que les atmosphères sont similaires mais combien les moyens littéraires de les rendre perceptibles ont évolué. Ne serait-ce, ici, que dans l’usage parcimonieux des adjectifs qualificatifs, l’abandon de la rime au profit d’une musicalité plus discrète.

Michel Voiturier (mai 2019)