Patrick Devaux, Partage de la nuit, dessins de Catherine Berael, avant-dire d’Anne-Marielle Wilwerth, éd. Le coudrier.

Ce n’est pas la première fois que Patrick Devaux évoque la nuit dans un de ses titres : Clairières de nuit, Pause de nuit, Ecailles de nuit, et, tout proches : L’archiviste du brouillard, Aile de brume, Ambres lunaires : ce n’est pas ici la nuit noire, la plus profonde, ni la nuit du vide, et de toutes les terreurs qui l’accompagnent. Plutôt une sorte de nuit ambigüe, propre à toutes les surprises, une nuit entre loup et chien, une nuit qui est aussi une piste d’envol vers les soleils des jours nouveaux, pour ce moment précis où les écailles tombent des yeux de Tobie. Comme le dit très bien Anne-Marielle Wilwerth : On entre dans les poèmes de Patrick Devaux par une fenêtre éclairée de lune. Et la première partie du recueil s’intitule d’ailleurs Partage de la nuit, avec un exergue d’Yves Bonnefoy qui est un appel au silence. Les substantifs attirent les épithètes comme le fer attire la limaille, et la nuit et le silence sont bien souvent complices. Complices du chant d’une plume, de coups d’oubli qui sont comme de légers coups d’ailes : car rien ici ne pèse ou ne pose, tout est dans la légèreté, l’esquisse, l’oubli bien sûr d’une mémoire qui n’est rien moins qu’oublieuse. Le rêve éveillé, les yeux fermés, le silence des grands cris : figures de style, oui, mais, ne leur donnez surtout pas de ces noms grecs qui les alourdissent et les empêchent de s’envoler. Ce ne sont guère ici que figures légères, oublieuses et oubliées, mais que la mémoire du demi-éveil ressuscite d’un seul coup de vent sur le sable.
Rien ne se perd, rien ne se crée. La treizième revient, et c’est toujours la même : l’auréole d’un ange, de douces paillettes lunaires, le partage de la nuit. Des pépites très légères de métaux rares et précieux, qui ont besoin du recueillement, d’une modestie teintée d’humour pour en venir à véraison, qui est, pour le poète, diction vraie.
Il n’en faut pas moins, par cette sorte de sorcellerie, pour dire

comme
chaque matin

un livre
sous
le
bras

tu souriras
à
la fenêtre

laissée
ouverte

sur
la page

trop
manquante
de
ton cri.

C’est que, dans la nuit, chaque mot a son prix, même si tous les chats sont gris. Et un atome d’absence suffit à bouleverser l’intimité du monde.

Joseph Bodson