Peindre: ouvrir le quotidien. Dominique Neuforge, Pastels à l’huile sur papier. Jean-Marie Corbusier, textes. Le Taillis Pré, 2019

Une publication somptueuse dans sa sobriété. Rarement j’ai vu pareille alliance entre les mots et les couleurs, sans rien qui dépare, rien qui dénote: pas un mot plus haut que l’autre, et chaque dessin à sa juste place, dans sa juste nuance. Il est vrai que Jean-Marie Corbusier nous avait habitués, en ses recueils, à cette discrétion, à ce ton à mi-voix qui renforce l’importance de ce qui est dit. Les pastels de Dominique Neuforge ont dans leurs couleurs, dans leurs lignes, la même qualité. Des teintes assourdies, séparées par des lignes plus ou moins droites, plus ou moins épaisses, et le tout semble venir rehausser les textes comme un soleil léger éclairerait un vitrail. Comme il le dit fort bien, Cette peinture ne cherche pas à étonner mais simplement dire, à voix basse,le murmure de la couleur, sa présence pénétrante comme si le peintre ne cédait rien de son inspiration. Et plus loin: C’est l’image d’un monde intérieur retenu. Imagination, masse et couleurs ne sont qu’un.Plus loin encore, pour un pastel où se mêlent l’oblique, le rouge et le gris comme pour un départ: Le beau n’est pas ce qui plaît, ce souci de de reconnaître son propre monde. Le beau est le sentiment du dépassement qui conduit à l’infini. On ne recherche plus une réalisation parfaite, des détails d’une extrême finition, une lumière introuvable.Le sujet n’existe plus dans sa forme connue, la vraisemblance collective n’a plus cours.

Non plus, ici, la rêverie, mais une sorte de contemplation méditative qui change la vision, la réflexion, pour une autre notion du réel. Cette peinture ne dit rien, elle s’apprête à dire. (…) Tout y est vrai, mais c’est ailleurs, ou bien encore: Formes tirées de l’informel et qui s’y ajustent. (…) La peinture n’est rien qu’elle-même qui se dilue dans l’espace et le temps. Les couleurs et les formes d’évaporent.  Tout est dans l’instant, dans le présent, les références deviennent superflues. Le bleu, le blanc, le gris se mêlent et se confondent.

Peinture qui ne montre rien, qui ne signifie rien. Elle affirme une présence. Elle est éclosion même.

Tant d’évidence, cette clarté ne laisse pas d’inquiéter. Trop forte, elle contient son mystère.

Et plus loin enfin: Il y a une rigueur, un équilibre des lignes et des teintes accordées, un balancement des traits qui tournent sur eux-mêmes et s’élancent vers leurs prolongements. La couleur est une tension qui apaise, elle n’opacifie pas, elle libère la vue parce qu’elle ne la retient pas. Tout fuit et se concentre à la fois dans une présence insaisissable.

Joseph Bodson