Philippe Fiévet  RUBY Une romance birmane roman éditions MEO (220 pages, 19 euros, 2023)

Un reportage sur les rubis de Mogok sert de prétexte à mettre en pages toute la beauté du pays des mille pagodes tandis que, parallèlement, est évoquée la culture complexe de ce pays aujourd’hui sous la coupe d’une junte sanguinaire. Pour l’approche on peut songer parfois à Loti quand il parle d’ailleurs en Asie pour ce qui concerne le côté descriptif. Ruby, jeune photographe se lie d’amitié avec un journaliste de 30 ans son aîné et ils évaluent ensemble le projet commun de retourner dans ce pays tandis qu’ils y étaient allés autrefois séparément à des époques différentes, le journaliste évoquant ses souvenirs : « Exacerbé par une musique tonitruante, le festival s’était poursuivi de plus belle. En montures dociles, les danseurs se cabraient au fur et à mesure que les Nats prenaient possession d’eux. L’alcool de riz et l’avalanche de sons les asticotaient, les cravachaient, fouettaient leurs corps en sueur, dans un vacarme assourdissant de tambours, de gongs frénétiques ».
Le pays fait rêver à plus d’un titre : « Le prix du rêve, voilà où se trouvait la différence ! On acceptait de débourser des sommes délirantes pour un rubis birman parce que cette pierre là racontait une histoire et embrasait l’imagination des hommes depuis la nuit des temps. Oui, si cette pierre flamboyante avait un prix, c’était bien celui du rêve jusqu’au dernier carat ».
Une « communauté d’esprit » mènera le narrateur et Ruby, la photographe, à vouloir tenter l’aventure avec un joailler. L’atmosphère unique de ce roman est bien rendue, notamment, par cet univers de pierres précieuses : « Saphir et rubis étaient tous deux des corindons, dorés de la même composition chimique et du même système cristallin » tandis qu’un autre monde est évoqué avec brio rappelant parfois le terrible contexte de la junte mais également l’état d’esprit de la culture birmane assez branchée sur de nombreuses croyances : « Depuis la levée de la censure, ils s’étaient rués en masse sur les livres de magie et les almanachs qui répertoriaient les bons et les mauvais jours pour les activités de la vie quotidienne, même les plus bénignes comme prendre une douche ».
Tandis que se prépare le voyage, une épidémie s’annonce depuis la Chine.
L’auteur, journaliste averti, donne une idée assez exacte du régime totalitaire : « Ainsi donc, à peine chassé, le naturel revenait à grands pas. Dès les premières heures du coup d’Etat, la troupe fut déployée dans les grandes villes et Aung San Suu Kyi fut appréhendée alors qu’elle prenait son bain. La Birmanie renouait avec les heures les plus noires de son histoire. Le général Min Aung Hlaing, commandant en chef des forces armées, était la copie conforme des galonnés mégalomanes qui l’avaient précédé ».
Le joailler se fera braquer. Le hold-up sur la démocratie birmane va-t-il, avec aussi la pandémie, obliger les protagonistes à renoncer à leur projet ? La vie a peut-être plus d’un tour dans son sac pour mélanger peut-être encore autrement les cartes et permettre dieu sait quel dénouement entre les personnes, les épreuves pouvant peut-être se révéler, in fine, positives du point de vue humain.

Patrick Devaux