Philippe Leclercq – La Rue de la Ruche – éd. L’Harmattan Belgique – 158 pages – 14 €

Plongée dans l’univers étrange du dérangement mental ? Dans un monde d’hallucinations, de fantasmes, de décalages spatio-temporels ? Le lecteur est secoué dès les premières pages et ne sait trop où il va. Il voudrait comprendre. Le livre s’apparente en fait à une psychothérapie, où l’auteur se délivrerait des fantômes du passé. Où le narrateur imagine, extrapole, hallucine et fantasme, mettant en parallèle les humains et les abeilles. Ne vient-il pas de s’installer rue de la Ruche ? Il observe le rhododendron sur la façade d’en face, qui bruisse d’un essaim d’abeilles incessant, et recueille les faux-bourdons qui viennent mourir sur son appui de fenêtre, et dont il se fait un collier de cadavres.… Mais il regarde surtout plus haut, au troisième étage.

Le récit nous relate ce qui, au départ, ressemble à du voyeurisme. Un homme qui passe ses journées à la fenêtre, à observer les fenêtres de sa voisine. Classique. Mais dans ce cas, il ne devrait voir que des fragments, des franges de la vie de cette femme. Or il semble être au cœur de la vie de Simone, voyant tout ce qui se passe dans son appartement, entendant tout ce qui s’y dit. Mieux, tout ce qui s’y est passé, dans un étirement incroyable du temps. Don de double vue ? Sommes-nous dans le supra-normal ? S’agit-il d’hallucinations ? Et cet enfant, qu’il aperçoit parfois à la fenêtre et qui semble lui faire signe ? On nage dans l’étrange. Le narrateur ne se nourrit que du miel de rhododendron que lui apporte Firmin, l’apiculteur, et se néglige complètement, fasciné qu’il est par Simone, qu’il assimile à la reine des abeilles, attirant tous les hommes, qualifiés de faux-bourdons (les abeilles mâles, dont le seul rôle est de féconder la reine si on est l’élu). Mais il se voit lui-même en danger puisqu’il est un homme et il craint sa voisine. Cette femme qui séduit les hommes impuissants à lui résister, qui les « utilise », cette femme qui néglige son enfant, ce fils qui, de victime, deviendra tyran une fois devenu grand… Tout ceci, notre homme le voit dans un saisissant raccourci et il surfe ainsi sur la vie des autres, ne se retrouvant plus lui-même : J’ai l’impression d’être multiple, quelqu’un crie en moi et m’empêche d’être moi.

Le rhododendron pousse à toute allure, ses racines soulèvent le bitume pour venir s’accrocher à sa propre façade, renforçant le lien obsessionnel qui le lie à la maison d’en face. Il faudra attendre la fin du livre pour que se dénoue le bouquet de pleurs et de peurs et que les choses deviennent claires à ses yeux comme aux nôtres.

Isabelle Fable