Philippe Leuckx, Etranger, ose contempler, poèmes,  310e lieu: Tolède et Séville, Encres vives, coll Lieu.

Le dirons-nous pèlerin, Juif errant, gyrovague, ou simplement voyageur, ce voyageur solitaire dont Montherlant disait qu’il était un diable? Cette fois, c’est vers l’Espagne chère à son vieil ami Marcel Hennart qu’il dirige ses pas. Mais ce n’est pas une Espagne de pacotille, de couleurs éclatantes, comme le son du buccin en plein  midi. Non, c’est plutôt d’une Espagne sombre et solitaire qu’il s’agit ici, et dont il s’efforce de percer les mystères. Mais c’est comme si une voix venue des hauteurs – car ces villes qu’il évoque sont escarpées – le guidait, lui intimait son itinéraire:

Etranger ose contempler et rompre ta marche/Ce qui se profile prend forme et densité/Tu ne le verras qu’ici d’ici en te reposant/Des chromos faciles et de toute parole même nomade/Tu regarderas au plus près cette langue de ciel/Qui bleuit sans apprêts tout autour des arêtes/Et ces plans d’ombres découpées/Dans l’aire soyeuse du presque soir.

Oui, un paysage lunaire et décharné – St Jean de la Croix n’est pas loin – et d’où se dégage pourtant une étrange douceur.

Et l’itinéraire se poursuit: Ainsi en vient-il à douter de lui-même/S’il fut promeneur ou rêveur de ville/Cet enfant assoiffé d’espaces et de tremblements/De rétines. Oui, c’est bien vrai qu’il y aura toujours, en certains d’entre nous, cet enfant amoureux de cartes et d’estampes. Cet enfant qui, comme Rimbaud, rêvera sans cesse de villes nouvelles offertes par l’horizon, ces enfants partis en étrange croisade, ou suivant, enchantés, le joueur de flûte de Hamelin. De temps en temps, on en retrouve un, perdu dans le monde des hommes, et portant dans son regard tout le bleu de l’immensité céleste. Toujours inassouvi, insatisfait. C’est à cette famille-là qu’appartient, je crois, Philippe Leuckx, et cette Espagne sombre et sévère, ces villes repliées sur elles-mêmes comme un colimaçon géant, ne sont que l’une des étapes de son périple.

On est presque au bout du monde/Dans une rue taguée qui tourne et tourne.

Mais le bout du monde, c’est encore loin…

Joseph Bodson