Pierre Guérande, par chemins oubliés, nouvelles, éditions Muse, Saarbrücken, 2014.

     Pierre Guérande est un exemple assez fidèle de l’ ‟honnête homme” tel que le définit l’historien français Philippe Ariès : un « esprit curieux, cultivé et de goût sûr ». En effet, ce psychologue du travail et des organisations, aujourd’hui à la retraite, a une solide formation musicale et est aussi un chroniqueur littéraire particulièrement pénétrant et prolifique, En outre, il a publié cinq recueils de poésie, et maintenant ce « Par chemins oubliés ».

Il s’agit d’un bref ouvrage de 77 pages réunissant dix récits qui selon les propres mots de l’auteur, « jette(nt) » un regard grave et amusé sur le quotidien de quelques personnages touchés par le hasard d’évènements intenses … des circonstances qui, ne serait-ce qu’un instant, donnent toute sa saveur – sa ferveur – à la destinée. »

Un des aspects des plus marquants de ces récits est leur capacité de rendre par quelques observations concrètes une atmosphère, un quotidien, le sens d’un vécu, donc de suggérer un ordre établi et, partant, un cadre de référence assez précis : simultanément, on est amené à ressentir une instabilité foncière, un chaos futur qui devient soudain manifeste à la fin des récits par la mention d’une action ou d’une constatation inattendue, dès lors en total décalage avec le cadre de référence établi. La force de son impact provient généralement – et paradoxalement – du fait qu’elle est minime, à la limite du détail, maisque sa pertinence est telle qu’elle met en question bien des aspects clés des récits.

Ainsi, chez Pierre Guérande, l’authenticité, voire la réalité, ne sont jamais ce qu’elles semblent être : il faut toujours un second regard, une réévaluation, ce que l’auteur rend indirectement, mais clairement explicite dans un texte, presque technique, intitulé : Faux amis et belles infidèles (où l’on voit que les traducteurs ont de bien curieuses fréquentations) . Ce point de vue est au cœur de tous les récits, mais est transcendé dans le dernier, un texte proche du poème en prose, à la fois éloquent et mystérieux, où une journée de visites de cathédrale et musées mène à la « foi retrouvée », à une extase d’inspiration et religieuse et amoureuse.

 

Une dernière caractéristique de ces récits et non des moindres, est leur originalité sur le plan sociologique, voire moral. En effet, sociologiquement parlant, le second regard et la remise en question mentionnés antérieurement ne trouvent pas leur origine chez les personnages qui occupent les positions centrales des récits, mais chez ceux qui sont à la périphérie et dont le statut est généralement inférieur.

Ainsi, dans le premier récit, le « personnage qui révèle » n’est pas le narrateur, mais la femme pauvre « abandonnant » son enfant dans l’espoir de lui donner un avenir meilleur, témoignage douloureux de ce que représente au quotidien une stratification sociale impitoyable, et partant la pauvreté, dans cette ville soi-disant belle mais mythique : Rio. . Cette fonction de « révélateur » a une valeur morale dans la mesure où ces personnages périphériques sont les garants d’une vérité jusque là ignorée.

De ce fait, ils sont le symbole d’une capacité d’innovation, de transformation, ce qui donne à tous les récits une perspective dynamique.

Les 77 pages de « Par chemins oubliés » sont pleines de surprises originales, d’observations subtiles et d’intelligence profonde. Il faut espérer que l’auteur a en réserve d’autres récits de cette qualité et qu’il nous en gratifiera sous peu.

                                                                                              José Havet