Ron Dorlan, La farce est jouée (Acta est fabula), Academia littérature, roman, 266 pp, 22,50 €

farceJe m’en voudrais de ne pas citer l’extrait suivant de l’avertissement: En ce siècle médiatique à l’excès, où l’info « en temps réel » l’emporte sur son bien-fondé, il est bien normal de s’emmêler le jugement. La littérature, comme la religion, comme l’histoire, réclame de ses lecteurs une foi inébranlable. Ou une bonne dose de naïveté. Mais après tout, n’est-ce pas pareil? Sans compter, bien sûr, que toute ressemblance…De toute façon, Dieu reconnaîtra les siens. Que l’on ne se frappe donc pas si un personnage s’appelle Bart, ou Le Tisserand: il y a plus d’un baudet qui s’appelle Martin. Et, de toute façon, l’action se passe dans un Moyen-Age un peu décalé, un peu baroque, comme on en trouve chez Ghelderode.

Ron Dorlan? Une imagination fertile, qui part volontiers en embardées spectaculaires, qu’elles soient dans le temps, dans l’espace ou dans le langage. Un beau don de la formule. Ainsi: Le créateur a réussi l’univers, mais il a raté l’homme.

Une pratique constante et désarçonnante de l’anachronisme. On se sent toujours un peu, chez Ron Dorlan, en porte à faux. Qui rase gratis. (excusez-moi, c’est un tic que j’ai pris en le lisant: quand il fait un jeu de mots un peu squive, il s’excuse aussitôt, politesse envers le lecteur). Mais malgré tout, on se sent un peu chez nous: le Royaume du Sud, et sa capitale Almon-Nosaute L.G….le palais du Biaboucquè…Et puis, le style, mazette! Les chancelleries papales, cardinales, archiépiscopales des Grands Siècles ne faisaient pas mieux. Ecoutez plutôt: Parmi la tornade rouge qui l’entoure, un coquelicot émerge soudain, s’avance vers son supérieur, c’est le Frimas des Saules, grand ordonnateur de pompes vaticanes, qui y va de son plus bel organe: – Le pape serait une papesse et les cardinaux des cardinales, votre sainteté. Nous, on garderait les troupeaux de moutons, on préparerait à manger, on ferait la lessive et la vaisselle, on n’aurait accès à la propriété qu’avec l’assentiment de notre épouse, on n’accéderait au droit de vote qu’au XXe siècle, et on torcherait les fesses de nos enfants. J’oubliais: on enfanterait dans la douleur, et on porterait sur nos frêles épaules le joug du péché originel. N’écoutez sutout pas, mesdames! Et Dieu, oui, Dieu, qu’est-ce qu’il fait pendant ce temps-là? De son nuage, Dieu rigole bien, dans sa barbe blanche: -Qu’est-ce qu’ils peuvent être gourdes, ces hommes!

On parle parfois d’histoire-fiction, quand l’auteur imagine des faits qui auraient pu arriver. Mais lorsque, comme ici, les personnages eux-mêmes sont imaginaires, comment dire? Serait-ce de l’histoire double-fiction? Bah! N’y a-t-il pas déjà de la Triple Westmaele? La seule chose vraie, au fond, ce sont les exergues. Oui, tout passe à la moulinette: la fausse démocratie, le néo-libéralisme…Tout pouvoir n’est-il pas dérisoire?

Non, je ne vous raconterai pas l’histoire. D’ailleurs, l’histoire, elle est irracontable. C’est le degré zéro de l’histoire. Peut-être qu’en cherchant bien, vous en trouverez çà et là des bribes. Rari nantes in gurgite vasto. Mais, tout en cherchant, en travaillant, en prenant de la peine, comme les fils du laboureur du bon La Fontaine, vous trouverez morceaux de haulte graisse et de franche lippée…N’est-ce pas lui d’ailleurs (le bon La Fontaine, pas le laboureur), qui disait aussi:

Volupté, qui fus jadis maîtresse

Du plus bel esprit de la Grèce

Viens t’en loger chez moi

Tu n’y seras pas sans emploi

A consommer par petites doses.

Joseph Bodson