Rwèyål Cåvô lidjwès, numèrô spéciål po lès quwinze creûs dè cåvô, Scriyèdjes èt tchansons walones rimètoûs è nos deûs lingadjes, Liège, 2022, 249 pp. présentations, adaptations à l’orthographe Feller et traductions par Danièle Henkinet, Armand Herbeto, Janine Malmedy et Djôzèf Sauveur, dèssins d’a Mili Herbetio. Jeanine Malmedy, rue Baille Collèye, 53, 4020 Jupille. Tél. 04/362.58.38.
Faut-il vous présenter d’abord les Liégeois, leur caractère, leurs us et coutume ? Je ne le pense pas. Et pourtant, j’en ai rarement rencontré une peinture aussi vivante, aussi réaliste que dans ce volume consacré au 150e anniversaire du Caveau liégeois : de dures têtes, mais le cœur sur la main, aimant s’amuser, mais aussi, bien sûr, l’ouvrage bien faite, railleurs, et pourtant amitieux, fiers d’être Liégeois, mais aussi ouverts à tout le reste : bref, dès omes-tout-oute.
Et, de toutes ces pages (elles se suivent dans l’ordre de parution des textes choisis, ce qui est un bon parti), ce sont bien les mêmes impressions qui se dégagent, avec quelques pics, et quelques exceptions : on ne peut oublier, par exemple, que Joseph Mignolet fut sénateur rexiste jusqu’en 1945, mais ses qualités littéraires, soulignées par Maurice Piron, sont indéniables. Ce qui frappe, dès l’abord, c’est la variété des professions exercées par nos auteurs : Toussaint Brahy, qui fonda le Caveau en 1872 avec Dieudonné Salme, était ouvrier communal. Parmi ceux qui suivirent, on notera la présence de nombreux travailleurs de la FN de Herstal, mais aussi de facteurs, d’horticulteurs, de fonctionnaires, un ébéniste, des armuriers, des employés communaux…jusqu’à Janine Malmedy, la première présidente. Certains furent célèbres, comme Joseph Willem, Dieudonné Salme, Joseph Vrindts, André Winands, Louis Lagauche, Dieudonné Boverie, Jean-Denys Boussart, d’autres le furent moins…Et parmi les sujets de leurs chansons, à côté des évènements majeurs de l’actualité, la bonne entente, la bonne chère (sans oublier la boisson), l’amour, bien sûr, et Liège, par-dessus tout, sans oublier Outre-Meuse.
Voici un extrait d’un texte de Jean-Denys Boussart, pour vous mettre en appétit , sur l’air de Pigalle, de Georges Ulmer . Il s’appelle Bavîre, en l’honneur de l’hôpital du même nom, sauvé de la démolition :
Li timps passe èt rèface / lès sov’nis dès djoûs hoyous, / On rouvèye bin dès fèyes / sès mèhins èt sès histous. / Asteûre, qwand dji r’veû Bavîre / creurîv’ qui dji m’fé må d’ lu ! / Pôve Harbouya d’ briquesèt d’ pîres / qu’èst malåde èt qui va toumer djus ! // Come di nosse timps / on d’ vreût houkî l’ 900 / èt l’ miner a…Bavîre ; / Bavîre ! / Ca, po l’ sognî, / lès bèguènes, l’åmonî / ni d’ mandrît qu’a rim’ni : / Bavîre ! Dè tchanter po ‘n-ospitå / n’åreû-dj’ nin l’êr on pô golzå ? / Mins è coulwér, so ‘ne civîre, / vos-v’ sintîz mîs qu’èn –on palås !// Nos-î corîs / come amon dès vwèzins, / po ‘ne tchîtchêye, on må d’ dints : /Bavîre ! / Rin qu’à l’odeûr, / sins minme vèyî l’ docteûr / vos roûviz vos doleûrs : / Bavîre //(…) Ç’ n’èst nin Pigalle/ ni l’ Djus-d’la dès potales, /dès coûrs èt dès rouwales / Bavîre ! / Mins c’èst m’ quårtî, / èt si dji pou tchûzi, / c’èst la qu’ dji vou mori : Bavîre !
Le temps passe et efface / les souvenirs des jours échus. / On oublie bien souvent / ses infirmités et ses déboires . / Maintenant, quand je revois Bavière / croiriez
-vous que je me fais mal de lui !/ Pauvre diable de briques et de pierres, / qui est malade et qui va s’effondrer ! // Comme de notre temps / on devrait appeler le 900 / et l’amener à…Bavière : / Bavière ! / Car, pour le soigner, les nonnettes, l’aumônier / ne demanderaient qu’à revenir : Bavière ! // De chanter pour un hôpital / n’aurais -je pas l’air un peu détraqué ? / ? Mais dans le couloir, sur une civière, / vous vous sentez mieux que dans un palais ! (…) Ce n’est pas Pigalle, / ni l’Outremeuse des petites chapelles, / des cours et des ruelles / Bavière ! / Mais c’est mon quartier, et si je peux choisir, / c’est là que je veux mourir : Bavière !
Oui, décidément, à Liège, la mélancolie est toujours ce qu’elle était. Il s’y mêle même un brin d’humour et de nostalgie, de par la mise en parallèle de Pigalle et de Bavière, et pour un peu, Mârcatchou rimerait avec Ulmer. Djus-d’ci comme Djus d’la, la vie suit son cours, comme un ruisseau tranquille…aussi longtemps que la Meuse ne se met pas en colère. Oui, ils sont comme ça, les Liégeois, de Djus d’ci comme de Djus-d’la. Les chansons du Caveau en sont très heureusement le meilleur des reflets, et les dessins de Mili Herbeto les illustrent fort bien.

Joseph Bodson