Stefan Hertmans,  Antigone à Molenbeek, Le Castor Astral, 2020.

Traduit du néerlandais par Emmanuelle Tardif, le récit-monologue-dialogue de Hermans jaillit comme une étincelle des cailloux de la révolte : Nouria, une jeune étudiante en droit de l’ULB veut enterrer les restes de son frère mort au combat, quelque part dans le désert inhumain creusé en Syrie par une armée criminelle, celle de Daesh. Mais tout s’oppose à elle. Où sont rangées les dépouilles ? Un guerrier de la terreur a-t-il droit à une sépulture ? On a vu des imans, en Angleterre, refuser d’enterrer des terroristes. Ici, en Belgique, c’est la même répulsion, incarnée par l’agent Crénom, auquel s’adresse désespérément la sœur en larmes. Elle devra s’y prendre autrement et transgresser nos lois pour tenter de parvenir à ses fins. A celle de son frère chéri, de son idiot de frère, à la sienne peut-être car elle risque d’aller beaucoup trop loin… Le texte de l’auteur est tranchant comme une lame de fond, de fond de rage et de vie. C’est de la poésie hurlée, du théâtre brutal à une voix, à deux voix, à toutes les voix ennemies : l’autorité face à la combattante, la loi de notre temps contre celle, immémoriale, de l’amour et du respect des défunts qui ont tous le droit d’être inhumés. Une âme errante ne peut pas être laissée dans le vide ni dans le cœur dévasté des siens. Mais elle devra se battre en transgressant la légalité. Avec des mots qui vont choquer et puis avec des gestes véhéments, désordonnés mais tellement émouvants ! En ce pays d’éternelle grisaille, voilà un petit livre foudroyant qui éclaire lumineusement le destin d’une victime qui ira jusqu’au bout, dans la grande tradition de toutes ces héroïnes qui ont figuré dans la littérature de la résistance… Il y a de « L’Etranger » de Camus aussi dans ce personnage dérangeant d’étrangère qui a lu, adolescente, Sophocle, Cocteau ou Anouilh… et hérité de tous ceux et celles, auteurs et metteurs en scène, qui ont voulu, au cours des siècles, faire revivre l’Antigone, l’opposante, née, un jour sombre et maudit, pour se dresser seule contre le pouvoir absolu de l’Etat.

Michel Ducobu