Sylvia Buho, L’oie des moissons, Bleu d’encre, 2024, 15 euros, 70 pages
Sylvia Buho nous livre un récit très intime en prose poétique, dur, poignant. Au-delà de toute considération philosophique, religieuse ou de « morale », au-delà même de ce qui l’a motivé et que l’on ne fait que vaguement deviner, le livre raconte la souffrance physique et psychologique d’un avortement. « La douleur, sans masque et sans filtre. Elle se répand dans ma chair à en geler mon cœur, à m’en geler les os ».
Un acte réalisé peut-être dans des conditions difficiles, et qui s’est « imposé » à l’auteure du récit, à son âme défendante…
Le livre raconte l’Avant, le Pendant -entre conscience et inconscience, quand les rêves viennent trouer le cauchemars du réel- ; et l’Après, quand le « petit non-être » reste présent partout, à jamais.
« Ton goût et ton odeur hantent chaque coin de ma présence (…) Etendue de tout mon cœur, mon âme en prise aux vagues, je tiens ta tombe entre les mains. Car de toi, mon tout petit, jamais je ne me vide ».
L’auteure s’adresse à celui pas né, avec affliction et regret mais aussi, presque étrangement, avec un amour infini qui déborde du « rien », de la perte, du vide. Mais elle ne s’adresse pas qu’à lui : « J’avais initialement prévu de dédier ce recueil à l’essence même, à ma graine. Mais une idée fit son chemin, et vint se planter sous mes peaux sonores. Je me décidai alors à dédier ces mots à toutes celles qui, comme moi, connurent la chute ».
Le livre est douloureusement poétique. Sincère, sans faux-semblant. « Je parle de toi et j’ai l’impression de te trahir. Aucun mot n’est assez fort pour exprimer l’intensité de mon amour. Je continue à t’écrire des poèmes, à te chanter des chansons pour que, au-delà des étoiles tu entendes la voix de ta mère, et tu t’endormes. Je vis la vie d’une autre depuis que ton corps ne grandit pas dans le mien. Mon corps se languit de la vie d’une autre depuis que la mort se profile à chacun de mes cycles ».
L’écriture comme refuge ? Seulement si elle est encore accessible… « il n’est de poèmes vivants qui puissent exprimer mes sentiments ». Mais il existe d’autres formes d’expression pour soigner la détresse, l’art-thérapie offre de nombreux chemins, par exemple ces « images créées de toutes pièces, à partir d’autres images ».
Comme les photos et collages qui illustrent le recueil.
Martine Rouhart