Tatiana Gerkens Incandescence éditions Bleu d’Encre (2022, 60 pages, 12 euros)

Tatiana a faim de vie et de mots.
Sa poésie procède de la tectonique des plaques : sous la douceur souvent convenue de la poésie elle écrit pour « faire trembler/ la chair secrète des mots ».
Le désir est évoqué de façon quasi permanente, avec vivacité car, dit-elle, « la vraie jouissance/…/exige l’abandon de toutes les impostures ».
Le risque et la béance font chez elle partie d’un vocabulaire courant tandis que s’opère, avec brio, un vif étalement de la genèse des corps où la démarche procède presque d’un combat à susciter le vertige jusqu’à « toucher enfin l’autre bord de soi ».
Les mots semblent ne plus avoir de limite à évoquer le corps éclaboussant l’encre.
Tatiana se veut victorieuse à la course à l’instant dans une sincérité bien au-delà des fantasmes traitant le corps avec avidité, malléant la chair comme Camille Claudel pétrissait la glaise en quête de communion avec autrui : « J’appelle le feu du rire/ pour encore/Nous désirer ».
L’autre, qui semble quelque part ailleurs, est rappelé à la fusion suscitée : « Je veux/ à la merci de ta bouche morte/ Déchainer ton retour ».
Sans doute s’agit-il là d’un rappel à une sorte d’absolu à sublimer l’extase quand mots, sexe et sang se confondent.
L’appel à la pérennité, chère aux poètes, n’est pas non plus en reste. Evoquant un au-delà d’ossements, on devine chez l’auteure que le souffle subsiste élargissant alors l’idée poétique aux marées et aux météores.
La force du feu intérieur exprimé s’accomplirait-elle alors avec l’insistance d’un nom suggéré tel un écho cosmologique ? : « Je prononce ton nom/ Tu oublies déjà le mien ».
Ce premier recueil publié est, de fait, écrit « comme on caresse une proie avec une faim sauvage » quand quelque chose des traces d’une louve passe ainsi d’une page à l’autre.
La couverture illustrée de Stéphane Lejeune révèle avec habileté l’ouverture au texte et aux corps.

Patrick Devaux