Thierry-Pierre Clément ; Poésie fenêtre ouverte : essai Préface de Myriam Watthee-Delmotte ; Bruxelles ; éditions Samsa (2024, 173 pages, 22 euros)
« Je ne trempe pas ma plume dans un encrier, mais dans la vie »/Blaise Cendrars
« Un nouveau langage ne pouvait surgir que d’un contact renouvelé avec la terre »/ Thierry-Pierre Clément
Cet essai, préfacé par Myriam Watthee-Delmotte, comporte sept chapitres. Le premier s’intitule « Manifeste pour un nouveau monde » ; écrit en 1992 et cosigné par plusieurs poètes (Eric Brogniet, Jean Dumortier, Marcel Hennart, Gary Snyder…) depuis les deux rives de l’Atlantique, il pose la question de savoir « comment inventer un nouveau langage en vue de redécouvrir un monde réellement neuf ? ». Les cinq chapitres suivants sont consacrés à des poètes majeurs (Jean Dumortier, Kenneth White, Blaise Cendrars, Jean-Pierre Lemaire, Jean Marc Sourdillon) qui ont « balisé » plus particulièrement le parcours littéraire voire humain de l’auteur tandis que le dernier(« Hors les murs, par-delà les mots ») nous révèle le postulat poétique d’un homme simplement soucieux d’accueillir avec générosité le monde, les autres et le réel.
« Le présent ouvrage réunit ainsi des articles et des exposés initialement épars, mais qui forment un univers cohérent. Malgré une différence de générations de tons, de thématiques, les œuvres évoquées proclament mêmement la beauté du vivant et la font advenir dans ce qui constitue le propre de l’humanité, le langage verbal »/ Myriam Watthee-Delmotte
Notre vision du monde est partielle et ne repose bien souvent que sur des à priori que nous ont transmis l’histoire, la tradition et les autres ; de même, la vie n’est pas ce qu’on nous en montre et encore moins ce qu’on voudrait qu’elle soit. Bref, on doit bien reconnaitre qu’on existe rarement et qu’on a oublié l’expérience première de l’étrangeté du monde. C’est pourquoi, dans une société où l’économie a capturé la vie, en a mystifié la réalité vivante, la poésie peut se révéler être un moyen susceptible de redonner son rythme et ses pulsations à notre existence soumise à des régimes de plus en plus drastiques.
« La restauration d’un contact avec la Terre passe aussi par l’attention aux sensations et la célébration de celles-ci, car elles exaltent la vie ; elle ne doit pas non plus exclure la relation profonde avec nos frères humains. Jean Dumortier est aujourd’hui un poète oublié, mais il était passé maître dans la jubilation du vivant et les échanges fraternels »
Dans cet essai de salubrité publique, l’auteur s’attache tout particulièrement à mettre au jour l’œuvre de poètes qui n’ont eu de cesse d’ouvrir l’étincelle d’un autre monde possible, d’honorer cette vie qui vit en nous mais n’est pas nous et de rendre visible le lien qui nous unit à la nature.
« Ce qui aura guidé ma vie : l’amour, la poésie, la beauté du monde et les chemins de l’esprit. Toutes choses qui se rejoignent, sont la même à vrai dire : elles ouvrent la fenêtre sur le large, sur le plus vaste que soi, sur un espace infini qui nous dépasse et nous accomplit, tout en nous laissant à jamais inachevés. Ce chemin là , et le mystère béant vers lequel il mène, ne connaît pas de fin »
D’une manière générale, Thierry Pierre Clément célèbre ici une forme de poésie qui nous éveille à une vie plus large, met en question la logique de la représentation et célèbre les beautés offertes ; celles qui nous amènent à profiter des choses plutôt que de les interroger ; celles qui nous apprennent à aimer ce que nous ne comprenons pas et nous font percevoir que nous sommes un peu plus que nous-mêmes ; mieux, Thierry-Pierre Clément célèbre ici une forme de poésie qui porte en elle l’énergie et le mystère de la vie, laisse ouvert le sens, essaime des traces et permet de retrouver une façon virginale de voir, d’entendre, de parler et de penser.
Parmi les sujets évoqués, citons, entre autres, le déclin de l’Europe, le taoïsme, la philosophie grecque, la religion, les sociétés amérindiennes, l’hindouisme, le bouddhisme, la relation entre l’être et le langage et bien sûr la géopoésie chère à Kenneth White ; parmi les personnalités évoquées, citons, entre autres, Thoreau, Emerson, Lanza del Vasto, Snyder, Dylan, Miller, Char, Singer, Giono…
En bref, « Poésie fenêtre ouverte » est un essai à travers lequel la poésie est présentée comme étant un moyen de nous ajuster au réel, de l’habiter et de le voir, à l’instar de Baudelaire, tout en nouveauté ; en bref, « Poésie fenêtre ouverte » est un essai à travers lequel le lecteur est invité à chercher en lui ce qu’il y a de plus réel, de plus vivant, de plus lumineux pour atteindre la vie, le point culminant de ce qu’il est, de ce qu’il peut être vraiment. ; en bref, enfin, « Poésie fenêtre ouverte » est un essai à travers lequel l’auteur nous laisse subtilement entendre que l’art n’est en rien une chose raffinée, une prouesse intellectuelle mais bien la vie intensifiée.
« Je tiens ici à lever un possible malentendu. Non, les poètes ne sont pas de doux rêveurs ! Ceux que j’ai évoqués dans ces pages – un choix parmi tant d’autres – ne bâtissent aucun château en Espagne. Ils veulent juste reconnaître la vie pour ce qu’elle est. Ils n’ignorent rien des douleurs du monde, des vicissitudes et des lâchetés, ils ne sont eux-mêmes pas exempts de faiblesses. Mais ils savent que la saveur de la vie est infinie et qu’elle est à goûter ailleurs que dans nos maisons aux fenêtres fermées »
Pierre Schroven