Tilde Barboni, Affaires de famille- Pays noir, Weyrich, 2016, 15 euros, 248 pages

Tilde Barboni nous emmène au début du 20è siècle dans le Pays Noir, au sud de la Belgique. Nous plongeons dans les galeries et l’univers en pleine effervescence des exploitations minières. Un détour par l’Italie de Mussolini. Un bout de chemin encore au cœur de la Résistance.

Se croisent les destins d’un ouvrier des mines, Henri, rejeton d’une vieille famille hollandaise ruinée, de Marie, femme à la forte personnalité et aux multiples facettes, de ses filles Renée et Céline (toutes deux nées de pères plus ou moins envolés dans la nature) et de la fille de celle-ci, sans compter d’autres personnages encore qui influencent leur existence. On ne suit pas seulement ces destins dans l’espace et le temps, on suit aussi de l’intérieur l’évolution de chacun, plus ou moins libre, plus ou moins prisonnier de sa propre destinée.

Beaucoup de questions de l’époque sont abordées : la condition de la femme et la maternité, les relations mère-fille, le travail pénible dans la mine, les conditions de vie difficiles des travailleurs, la force des idéaux.

 

A la lecture de la postface, on comprend ce que l’on devinait déjà entre les lignes, il s’agit d’un roman en grande partie biographique.

Dans la première partie du livre, qui se situe au début du 20è siècle, Marie (sans contexte le personnage phare du roman, la grand-mère de l’auteure ?), fantasque, infidèle, déterminée, impulsive, ne montre pour ainsi dire que sa face obscure et violente. Celle-ci s’éclaire au fil du temps et, dans la deuxième partie du livre (les années quatre-vingts),  Marie s’est assagie, transformée sans renoncer à rien. Elle s’explique sur ses erreurs du passé et devient une femme infiniment attachante.

J’ai trouvé émouvants les passages relatant le rapprochement des générations : lorsque Marie, alors vieille femme, fait la rencontre de Benoît, sorte de punk « à la silhouette d’enfer » qui se révélera plus tard un scénariste de talent, et dans la deuxième partie du roman où l’existence de la petite-fille de Marie (surnommée « Chérie »-Tilde Barboni ?) réconcilie Marie avec elle-même, après tous les débordements du passé.

« Il (Benoît) était attendrissant. Je (Marie) l’ai ramené chez moi, on a fait des crêpes, un gâteau aux pommes. Il a regardé des clips à la télé en mettant ses souliers sur la table (…) C’était bon de voir deux pieds d’homme sur ma table, ça l’a modernisée d’un coup ! (…) Il s’était subitement arrêté de parler, il a sorti ses mains de l’eau savonneuse et m’a demandé pardon. Pardon d’évoquer l’avenir avec une vieille dame, pardon de crier alors qu’elle écoutait gentiment ce que personne au monde n’avait fait avant elle, pardon de faire s’emballer un cœur un peu fatigué».

Malgré une construction un peu compliquée (de nombreuses voix différentes- même de personnages secondaires- qui s’expriment par intervalles et des passages en italique qu’on ne comprend pas toujours d’emblée à qui il faut attribuer), le roman est passionnant à lire et très intéressant par son contexte et toutes les questions de société qu’il aborde.

Le style est fluide, poétique presque comme sans y penser.

« troublé par le souvenir de cette entrevue, je fus heureux de distinguer les flancs charbonneux du terril (…) Les arbres figés par les gelées avaient perdu leurs couleurs d’automne et bordaient la route comme autant de sentinelles endormies. Une petite fenêtre mal éclairée m’avait forcé à accélérer le pas ».

Martine Rouhart