Trois chefs d’escale (en bateau) de Vladimir Issacovitch nouvelles éditions Les impliqués éditeur (2021, 13 euros)

Les nouvelles sont probablement écrites avec l’expérience de souvenirs personnels, le vécu de l’auteur permettant une fiction proche de réalités relativement contemporaines quand il dénonce de façon indirecte la traque des juifs ou qu’il fait parler la période coloniale.
Passant facilement d’un sujet à l’autre, l’ex-« Chef d’escale » de Sabena, feu notre compagnie aérienne, se meut entre voyages au long cours ou trottinettes en ville qui peuvent aussi lui servir d’inspiration. Peut-être est-ce là une sorte de docufiction transcendant autrement la réalité.
Ses personnages font partie d’une sorte d’inventaire ressemblant un peu à un curriculum vitae vu de l’extérieur avec parfois des idées surréalistes. A contrario, la petite histoire rejoint la grande quand l’auteur fait de tragiques rappels lorsqu’ il dénonce « une vingtaine d’assassinats politiques de leaders africains dont Patrice Lumumba » et qu’il peut aussi donner un avis sur le phénomène social « Me Too ».
Le texte est, en quelque sorte, en prise directe sur une actualité différée dans le temps alors que l’anecdote fertilise souvent le contexte comme dans la nouvelle intitulée « la guerre d’Espagne » : « Avant que l’informatique ne les crétinise, les employés des compagnies aériennes, du Chef-pilote au dernier agent de trafic, étaient les types les plus remarquables que vous puissiez rencontrer murmura Gonzalez. Nombreux étaient ceux qui vivaient dans la dépendance des livres. J’ai connu un vétéran de la R.A.F., qui à chaque passage de son boeing 707 par Madrid, confiait au personnel de l’escale une enveloppe contenant des billets de cent pesetas et un paquet de livres à relier en cuir. Il avait découvert qu’en Espagne les relieurs étaient cinq fois moins chers qu’en Europe du Nord et leurs peaux de bien meilleure qualité ».
Evoquant aussi dans son kaléidoscope la Russie communiste, dans « La Selva » (la Jungle), Vladimir fait se rencontrer (par le Diable qui organise la réunion !) Franco et Staline dans une sorte d’horrible mémoire collective tandis que dans « Le pendu » un ancien nazi est saisi des images de son passé.
Précisant que les personnages sont néanmoins fictifs, tout son schéma est hélas construit sur des faits bien réels. Une dernière nouvelle « Ivan K » met en scène un garçon se jouant de l’état dépareillé des soldats nazis faits prisonniers. La description en est telle qu’elle est du domaine d’un ressenti personnel mémorisé d’une façon ou d’une autre.

Patrick Devaux