Véronique Bergen Clandestine roman éditions Lamiroy ( 291 pages, 2024, 25 euros)

L’écriture de Véronique Bergen convient magnifiquement au chaos de ce qu’elle raconte. Dans ce roman, proche parfois de la chronique journalistique où l’auteur aurait conquis, outre le lecteur, le terrain s’il était permis de voyager dans le temps tant les personnages relatés avec l’insurrection du Ghetto de Varsovie paraissent proches de la réalité, parallèlement à l’enfer, Véronique précipite la quête généalogique et amoureuse de Violette et ses retrouvailles avec Ishtar. C’est à l’appui de carnets retrouvés écrits par une aïeule rescapée que la narratrice opère dans ce roman qui semble faire miroir tandis qu’on ne sait si on est dans la réalité ou la fiction. En fait il s’agit presque d’un tour de force d’écrire deux romans en un seul avec ce style incomparable en prise directe sur la situation et l’action sans oublier la remarquable façon qu’a Véronique Bergen de dire, d’évoquer et pour tout dire de faire imploser la phrase : « Effroi rétinien, remontée de lieux, de sensations de mon enfance. Môme accroupie sur le gravier, perchée sur mon vélo dans une cour intérieure, les murs épais des chambres, bruit des heures qui meurent, sommier qui jamais ne grince, les oiseaux se taisent, drôle de pâquerette dans ma bouche, les branches du marronnier plantent leurs yeux dans la chambre. A chaque page tournée, je descends dans le temps, dans la mine au spaghetti jamais mou, fini de jouer au petit cachou qui dit potiron pour carrosse, fini d’attendre le retour de Maman qui jamais ne vient, deux mouches lisent la bande dessinée abandonnée sur le plancher des Barbie ». La façon d’entrechoquer les idées émerveille le texte, suscitant chez le lecteur une sorte d’inattendu qu’il finit par rechercher. Chaque page est une découverte tandis qu’on imagine agir les neurones de l’auteure.
On navigue ainsi à vue de lecture entre cadavres de l’Amour et cadavres tout courts : « Nurith risque de faire la tête de m’entendre geindre sur le cadavre de notre passion alors qu’elle vit avec six millions de trépassés sur le dos ».
Peut-on trouver une voie entre passions violentes et instabilités émotives ? Réponses à découvrir dans le roman avec également la trace de liens familiaux rappelant surtout l’enfance : « Que le ciel au-dessus de nos tignasses noires fût bleu ou gris, madrilène ou bruxellois peu importe. Plus foncé que le mien, plus méditerranéen, le noir de ta chevelure brille de tous ses feux au soleil. Sous nos pieds un sol trop meuble, un sol trop pourri, tapissé d’angoisses et de cruautés. C’est sur ces marécages que nous avons appris à danser, à faire semblant, murées dans notre silence, glycinées mais pas par des fées Clochette ».
Quand on écrit : « sur tes terres bombardées j’enverrai les casques bleus de l’amour » on comprend que cette brillante écriture ne soit pas restée …clandestine , l’adjectif en titre rappelant, bien sûr, la presse clandestine du terrible ghetto.
Patrick Devaux