deprêtreVéronique Deprêtre, Dérapages,   Bruxelles, Onlit,2014, 136 p.

Manifestement inspiré par la jubilation suscitée par certaines pratiques d’ateliers d’écriture, ce premier recueil de nouvelles de Véronique Deprêtre a le chic pour susciter le trash. D’emblée l’auteure a trouvé des tons qui s’adaptent aux personnages qu’elle croque, plutôt paumés dans leur vie ordinaire, englués dans une misère morale en quête d’exutoire à la peur de leur mal-être.

Les portraits sont caustiques. D’autant que le style a le sens de la formule, celle qui rend inévitablement drôles l’usure des sentiments positifs et l’exaltation des révoltes trop longtemps enfouies. Ainsi l’un sera « crétin émotionnel à gueule d’ange ». L’autre une « amputée du coït ». Une troisième « autiste de bac à sable ». Une épouse est « un trou noir » et il faut savourer, entre autres, le vitriol de l’humour décapant de la description des visiteurs d’un parc d’attractions familial et des comparses qui y travaillent.

Bref, pas le temps de s’ennuyer dans ce volume à lire par petites doses pour ne pas saturer. Les nouvelles sont brèves. Elles misent sur l’ellipse au point que, parfois, il y faut de la concentration pour ne pas louper un détail ou une action rendus confus par l’ambiguïté d’un pronom personnel ou un bond brutal dans l’espace-temps. Le point de vue des narrateurs est varié à souhait.

Les écritures sont, du coup, diversifiées. Cela s’étend des ressassements de maniaque obsessionnel au verbiage gnangnan d’une maman parlant à son bambin ou d’une senior à son toutou de compagnie ; du contaminé par les anglicismes de la mondialisation au féru de néologismes ; de phrases un peu précieuses à l’ancienne à des laisser aller de parler populaire de banlieue ; du jargon pseudo-scientifique à celui des administrations piégées dans leurs circulaires.  De quoi renforcer la désapprobation à propos de ce qui tourne peu rond dans nos sociétés et chez leurs citoyens.

L’auteure n’hésite d’ailleurs pas à avertir ses lecteurs : ils trouveront chez elle « triple fracture ouverte du schéma narratif, déchirure du langage et luxation du choix esthétique ». Autant de raisons de trouver dans ce livre des motifs de jubilation.  Il n’est pas innocent qu’elle ait obtenu, en 2013, le prix du concours de la Nouvelle de la fédération Wallonie-Bruxelles.

D’autant qu’il y a bien des choses de chez nous dans ses textes. Y défilent les Francofolies, le festival Couleur Café, l’association la Goutte de lait,  Fosses-la-Ville, le cimetière du Dieweg, le concours Reinalisabet [sic], Aqualibi, Ryanair à l’aéroport de Charleroi, Prigogine, le Kwata [resic] à tartiner, les mignonnettes au chocolat de chez Côte d’Or, l’eau de Spa Monopole, la rue Neuve à Bruxelles… Il est aussi fait allusion aux peintres Paul Delvaux et Magritte chez qui Véronique Deprêtre semble puiser matière, encore que, finalement, ce qu’elle décrit ressemblerait davantage à ce que peignait le Français Clovis Trouille ou ce que dessinait Roland Topor.

Michel Voiturier