Vincent Engel, Alma Viva, roman, suivi de Viva! , monologue, Ker éditions, 194 pages, 18 euros

Depuis 2008, on le sait, Vincent Engel, passionné par les ponts que l’on peut lancer entre la musique et la littérature, s’adonne à l’écriture dramaturgique pour le théâtre et le cinéma. Il ne se contente pas de raconter des histoires de musiciens ou d’évoquer des œuvres musicales, ce qu’il cherche, c’est trouver une écriture au plus proche de la musique.
En ce qui concerne son aventure avec Vivaldi, cela faisait 20 ans que Vincent Engel avait l’idée de mettre sur pied un texte sur le prêtre compositeur et musicien, au sujet duquel il existe très peu d’ écrits. Il a écouté ses œuvres, encore et encore, et la musique a fini par lui confier tous ses secrets.
Deux textes sont nés: une pièce de théâtre, « Viva ! », présentée en avant-première cet été dans le cadre du Festival Musiq’3 et qui sera jouée en novembre au Théâtre Jean Vilar, plutôt un monologue entre les diverses « voies/voix du prêtre musicien qui ont guidé sa vie : ses amours, à travers les concertos, les mondanités, à travers l’opéra et enfin, la foi, à travers sa musique religieuse ». Ensuite, le roman, « Alma Viva ».
Ce que l’on sait de Vivaldi se résume généralement à assez peu de choses, et reste superficiel.
Dans le roman, certes, l’on retrouvera le prêtre roux, surdoué pour le violon, compositeur de nombreuses œuvres, qui n’hésitait pas à entrer au plus profond de l’intimité des jeunes musiciennes dont il avait la garde.
Le roman a choisi de se centrer sur les derniers mois de la vie de Vivaldi, comme le Ravel de Jean Echenoz est consacré aux dix dernières années de la vie de ce musicien.
Il nous livre un portait attachant d’Antonio Vivaldi et nous plonge dans le contexte historique et les mœurs de la Venise du 18è siècle.
Nous sommes donc à Venise, en 1740. Vivaldi vient d’essuyer un échec cuisant pour son dernier opéra et n’est plus vraiment « en odeur de sainteté » dans cette ville qu’il aime tant (« Vénitien d’abord, chrétien ensuite »). Il se heurte à l’aristocratie vénitienne et à l’ l’administration de l’Ospedale qui le trouve trop orgueilleux. De plus, de nombreuses rumeurs, vraies ou fausses, courent sur ses amours… Il a déjà plus de 60 ans, n’officie plus depuis des années et sa santé est très déclinante. Pourtant, il n’a pas le choix, réussir un nouvel opéra, au risque d’être quasi cloîtré à la Pietà, l’établissement pour orphelines auxquelles il enseigne la musique. Une part assez importante des œuvres d’Antonio Vivaldi ont en effet été composées pour cette église et l’hospice de la Pietà de Venise. Vivaldi fut le prêtre de cette église mais les concerts se donnaient dans l’hospice, accompagnés par les enfants orphelins ou indigents.
Le roman, poétique et instructif, raconte l’histoire et les péripéties de ce dernier opéra, les ressorts de la création et les facettes cachées du succès ; en outre l’on suit, tout au long des pages, le fil tendu d’une réelle intrigue.
L’on y découvrira, entre autres, les relations difficiles avec Lorenzo, le jeune écrivain librettiste talentueux et ambitieux, et la volonté toujours présente de Vivaldi de protéger à sa manière ses jeunes musiciennes pleines de talents ; il relate aussi la « petite histoire », celle de ses amours, platoniques ou non, avec un certain nombre d’entre elles…
L’on apprendra enfin pourquoi, afin de relever le dernier défi de sa carrière musicale, son « chef d’œuvre ultime », il a finalement dû quitter Venise pour Vienne, pour ne jamais y revenir…
Le style du roman est élégant. Il emprunte beaucoup à la beauté intemporelle de La Sérénissime et, bien sûr, à la musique. La lecture m’a étrangement et involontairement ramenée bien des années en arrière, lors de ma lecture de l’œuvre de Balzac,  » Le lys dans la vallée » : le roman de Vincent Engel est rythmé par une foule de termes et de références musicales, comme le roman de Balzac est émaillé de mots en rapport avec les fleurs.
« Le prêtre violoniste s’arrête. Son cœur s’est mis à battre trop vite, son souffle devient difficile, grince comme des cordes sous l’archet d’un enfant maladroit »(…) »Un froissement d’eau; Zianni (le gondolier) est précis comme une attaque de violons. Antonio se redresse, ponctue le pizzicato liquide d’un roulement de vertèbres. La vieillesse peut aussi se montrer musicale, pour peu que l’on puisse jouer de son corps – et Antonio s’est juré de mourir virtuose ».
« Laetitia réchauffe l’embout de sa flûte (…) L’attaque est parfaite. Les mesures s’enchaînent, impérieuses et douces à la fois. Don Antonio devine l’approche du passage, il en tremble. Bientôt…voilà…Mon Dieu, merci! La fenêtre est entrouverte, Venise toute entière écoute…Insensiblement, ces notes ont déjà modifié la couleur du ciel de la lagune(…) On ne crée pour rien d’autre, sinon pour répéter sans relâche le miracle de ce qui ne se répète pas, l’instant unique où naît Venus et où se réinvente la beauté. Ce matin, un peintre au bord du canal s’étonnera d’un éclat insoupçonné la veille et il sourira »

Martine Rouhart