Fresque d’une culture de la lucidité
Werner Lambersy, Dernières nouvelles d’Ulysse, Soligny-la-Trappe, Rougier, coll. Poésie & Peinture, 2015, 108 p. (18 €)

Avec ce livre, Lambersy nous embarque dans une fresque foisonnante. Il faudrait dresser un inventaire des noms propres pour rendre compte de tout ce qui est brassé au cours des pages. Des noms de personnages puisés dans la littérature, des noms de personnalités politiques ou artistiques qui ont émaillé l’histoire depuis bien longtemps, des appellations cosmopolites de pays et de villes.

Tout cela développé à l’intérieur d’une vision globale du monde tel que le voilà devenu aujourd’hui et accompagné de citations d’auteurs divers. L’écriture s’articule, pour la majeure partie des pages, autour de tercets, choix qui permet au lecteur de n’avoir pas l’impression d’être noyé sous un flot de mots. Le français côtoie le flamand, l’allemand, l’italien, le latin. Les images abondent, notamment celles que l’auteur privilégie parfois à profusion, les métaphores au génitif.

La passé se relie au présent. Pas seulement pour évoquer des événements d’autrefois mais aussi pour les insérer dans l’actuel car ce qui s’est passé et qui n’aurait pas dû se reproduire a, souvent, recommencé, comme si les erreurs de jugement ne servaient pas d’expérience. Car l’homme semble ainsi s’être fait des mêmes désirs, des mêmes pulsions de violence, de la même inconscience quant aux conséquences de ses actes irresponsables. Conclusion : de Caïn à maintenant « Jamais / L’espèce humaine /N’a oublié /D’être féroce méchante / Impitoyable ».

Bien des aspects de l’humain sont convoqués. Les conflits armés sont remémorés car « La guerre / Engraisse les plus gras » : Oradour, «[…] les camps / Dont la fumée a fermé / Les cieux », Hiroshima, le napalm du Vietnam, la Syrie, « […] le râle de ceux qui gisent / sur les trottoirs des attentats »… Les dérives du néolibéralisme apparaissent en filigrane. La création dévoyée est dénoncée : « L’art marchand veut / Le leurre / Et l’argent du leurre ». Le déséquilibre écologique est évoqué. Lambersy, ici, renoue avec les moments visionnaires où Verhaeren et Plisnier, autrefois, dénoncèrent le monde en train d’advenir.

Quant aux peintures d’Anne-Marie Vesco qui accompagnent le texte, elles ont, outre des couleurs brumeuses, la suggestivité de faire ressortir des éléments mythologiques à travers des évocations de personnages étranges, de lieux insolites. Ces images rejoignent la préface d’Hubert Haddad lorsqu’il écrit que l’auteur va “convoquant à sa tribune de songe les spectres de l’Histoire et ses grands esprits”.

 

Michel Voiturier