Abonné.e.s absent.e.s de Jean-Louis Massot éditions Le chat polaire ; peintures de Ronan Barrot 12 euros, 2021

Avec Jean-Louis Massot, nous sommes d’emblée à l’écoute dans une sorte de demi-sommeil qui, pourtant, révèle une réalité forte tandis que le détail semble avoir été dilué soit par la foule, soit par l’absence.
La solitude, en effet, est ici très accompagnée ; « Elles essaient encore, laissant échapper de l’objet une mélodie populaire et finalement parviennent à leur fin en s’échangeant leur portable comme s’il s’agissait d’une médaille olympique ». Les termes choisis ne laissent aucune place au hasard, l’écriture étant tout en observation.
Celui qui fut le brillant éditeur des éditions « Les carnets du Dessert de Lune » évoque la ville, la musique, les déplacements qu’il a souvent fait en train et le roman, l’écriture.
La ville lui est notes de musique et écrits. Quelques réflexions humoristiques naturelles parsèment ce qu’on peut appeler, je crois, ses contemplations : « …il se serait bien métamorphosé en clavier de portable sur lequel elle aurait posé les doigts qui devaient être doux comme les mots d’une parole indienne ».
Les scènes de vie, chaque fois pourtant personnalisées, trouvent leur inspiration dans la vie la plus quotidienne. Je ne peux m’empêcher de songer, en ce sens, au « Piéton de Paris » de Léon Paul Fargue, le maître du genre avec, bien sûr, le contexte de son époque autre. Il faut pourtant considérer que les solitudes observées restent les mêmes d’une époque à l’autre malgré l’accroissement des engins et moyens de communication.
L’ambiance générale m’a parfois fait penser au style de Duras, notamment pour cette façon d’imbriquer le psychologique dans les postures proposées entre squares et états d’âme.
Les noirceurs de la vie sont parfois brisées d’un rayon bleu ciel avec aussi, par exemple, cette peinture de Ronan Barrot représentée en page 36 et qui illustre, complète ou accompagne à merveille les intentions de l’auteur.
Jean-Louis a le sens du raccourci qui fait mouche dans des idées parfois en apparente opposition tel ce « jardin zoologique où s’ennuieraient des ours blancs » comparé à « cette vie de labeur devant la gueule des hauts fourneaux qui sont aujourd’hui devenus des vestiges industriels », l’idée en suscitant d’autres du point de vue social.
Un soupçon de nostalgie parcourt les mots proposés entre une photographie de Doisneau et un air de jazz venu d’un contexte anonyme.
Les « abonné.e.s absent.e.s » sont scénarisé.e.s dans le milieu de leur époque avec autant de points d’interrogation pour ce qui concerne la communication, levier fondamental de toute société digne de ce nom tandis que les peintures de Ronan Barrot ont les couleurs et la vitalité d’un Delacroix et expriment les brisures ressenties.
Le titre du recueil lui-même révèle notre époque où tout fait sujet à débat. Parfois c’est tant mieux.
La prose composée fait parfois le raccourci entre aphorismes, poésie et réflexions profondes : « Vols / A la façon de deux martinets cinglant le ciel, elles entrent dans ce café où le temps s’est arrêté ».
Elégant dans le style, Jean-Louis Massot dénonce avec tendresse. C’est une rare force.

 

Patrick Devaux