Anne-Michèle Hamesse, Le lac du Bois de la Cambre, Le Coudrier 2020, préface de Pierre Morlet

Roman, récit, songe éveillé, poème onirique, élégie, sonate lancinante, il y a de tout cela dans le livre poétique d’Anne-Michèle Hamesse.

Deux personnages principaux, Tristia et le lac du Bois de la Cambre « aux reflets d’argent », ce lieu presque mythique, intemporel, si bien connu de tous ceux qui ont au moins un temps habité ou travaillé à Bruxelles.

Une grande nostalgie baigne le roman comme une eau pensante, promène Tristia sur les chemins qui bordent le lac. « Rien qu’à se promener le long des rives du lac Tristia a déjà parcouru les paysages de plusieurs de ses vies ». Des réminiscences, des impressions qui passent, la traversent, lui échappent, des regrets vagues et immenses mais qui ne font pas vraiment mal, c’est seulement la vie, c’est comme ça pour Tristia…

On devine chez cette femme des blessures, la douleur d’une trahison amoureuse, des tentations de renoncement, la tristesse de choses disparues ; et celle d’un amour, entrevu il y a bien longtemps et perdu avant de naître.

On ne sait pas si elle les rencontre vraiment, ce jeune homme qui « se tenait à ses côtés sur les rives du lac de Bois de la Cambre, un autre jour, une autre époque de leur vie, une part de leur temps, leur jeunesse » ; et l’homme allongé dans la barque… Les rêve-t-elle seulement tous ces gens, sans doute croisés dans ses anciennes vies ? Tout pour elle est prétexte pour la renvoyer au passé, pour se souvenir, tout s’y relie. Le récit flotte entre réalité et onirisme. Cet avion échoué, étendu comme un oiseau mort dans le parc, cette meute de loups qui traverse les chemins et le cœur de Tristia…

D’un geste de plume, d’une légèreté d’elfe, l’auteure met aussi le doigt sur des dérives de notre société, sur sa dureté, son individualisme ravageur. Comment oublier cette image de l’enfant abandonné dans une poubelle, offrant aux passants un sourire que ceux-ci lui rendent simplement en passant leur chemin ? Un constat triste, un peu amer. « Les espèces se frôlent dans une indifférence totale, attentives à se perpétuer sans un regard ou un cri pour celles qui se détruisent, se suicident et dont nul ne gardera le moindre souvenir ». L’on retrouvera aussi, çà et là au fil de pages, de jolies traces de l’amour qu’Anne-Michèle voue à ces êtres faibles et aux yeux sans piège que sont les animaux.

« Tristia n’arrive pas à percer le mystère des rencontres, pas plus que celui des retrouvailles. Les gens qui se retrouvent de manière fortuite, après des vies, qui décident de reprendre ensemble le cours de leur existence finissent souvent par ne plus se quitter ».

C’est l’histoire d’une longue errance autour du lac. Aux brumes qui montent de « ses eaux parfois scintillantes, parfois glauques, où se dissimule l’Autre Monde » (extrait de la préface de Pierre Morlet), se mêlent fulgurances de souvenirs et questionnements. Une errance qui peu à peu, au gré des rencontres réelles ou rêvées, fait sens, devient redécouverte de soi et quête effrénée. Vers l’amour, le bonheur, l’allégresse, la lumière.

Allegra. Cinquante ans plus tard.

 

Martine Rouhart