Béatrice Libert, Cécile Miguel et l’Age d’or, là je dors. Regard sur un tableau, Le Taillis Pré, Collection Essais & Témoignages, 2024, 86 pp., 15 €.
Béatrice Libert cite avec à propos, en frontispice, pourrions-nous dire, un texte de Jean Dubuffet, dans Bâtons rompus : « Mais elle (l’œuvre d’art) doit être douée d’un pouvoir précieux qui est d’éclairer qui la regarde sur un aspect des choses qui lui était inconnu ; elle doit avoir l’effet de régénérer sa vision, susciter chez lui une façon nouvelle de regarder les choses et de les concevoir », et elle poursuit en notant, à propos du tableau dont il est question ici : « Il me réjouit, me surprend, me déroute, m’étonne au point que je me demande s’il ne m’entraîne pas en plein rêve ».
D’où les subtiles analyses qui vont suivre, et qu’il ne nous est bien sûr pas possible de reprendre ici dans leur détail. Nous noterons simplement qu’elles tiennent grand compte du dessin, de ces géométries subtiles et entrecroisées, enchevêtrant, emboitant presque quadrilatères et triangles, pour mieux mettre en exergue, au centre du tableau, trois images, trois figures d’êtres humains (dont un petit enfant), à la tête et aux yeux surdimensionnés, au point qu’on pourrait les prendre pour des chenilles sortant de leur chrysalide, avec leurs sourcils surabondants, leurs dents fortement marquées… Les triangles, de même que le quadrilatère à la gauche du tableau, sont eux des figures d’immeubles biscornus, penchés en avant, tordus.
Elle note : « Juxtaposés, scandés par des sections aux angles droits, aigus ou obtus, ils (les panneaux) sont tous situés sur un même plan. Ils constituent autant de fenêtres ouvertes », et encore : « Ce mouvement spiralé suscité par les obliques rend la composition dynamique » (p.17), et puis, p.19, cette citation de Lionel Ruchard : « Pour les Expressionnistes, l’espace de la création est une partie de la vie elle-même. Il est animé du souffle vital. Les formes ne sont pas statiques. Elles sont dynamisées par des plans qui s’opposent, tendues par des lignes de pulsion, stimulées par des affrontements de couleurs tranchées ». Notre tableau répond parfaitement à ces critères…
Béatrice Libert rappelle que ce tableau a été composé six ans après leur retour en Belgique (elle avait été reconnue en France par des peintres et écrivains célèbres, Camus, Char, Paulhan, Prévert, Picasso, Miró, Dubuffet qui la recevra dans son atelier de Vence). Elle note ceci, qui me paraît fort important, p.32 : « Cécile Miguel ne cesse de questionner cette part mystérieuse d’elle-même, d’accoucher picturalement de ses angoisses, de se confronter à la société, de décliner l’humain, comme dans ses écrits poétiques où elle relate, entre autres, ses hantises et ses rêves nocturnes. »
Elle nous introduit ensuite dans les autres « périodes » de l’œuvre, car l’artiste n’a pas cessé de se renouveler, la série tachiste, les Psychoscopies, l’Errance où le noir domine, le bleu, les Villes et personnages. Elle revient ensuite à l’analyse de ces trois formes humaines figurant dans L’Âge d’or, là je dors n° 14 : « Cet enfantelet n’est pas solitaire. Il est accompagné d’un second enfant représenté de manière complète qui gît dans une autre position, la tête en bas, ainsi que d’un troisième, en sortie de cadre, comme s’il chutait, à moins que ce ne soit le même représenté dans des positions et à des stades différents… »

Bien sûr, l’œuvre est pleine de contrastes, ne serait-ce qu’entre les couleurs vives, joyeuses même, et les figures, bouche ouverte, effrayantes, qui ne sont pas sans rappeler Le cri, de Munch. Mais ne serait-ce pas à l’image de notre vie et de nos rêves, dans lesquels l’éternel et le passager se côtoient vaille que vaille ?
André Miguel, cité lui-même p.65 semble aller dans ce sens : « Tout ce qu’elle a peint, dessiné, assemblé, créé, l’a été avant tout par un besoin physique de dominer la maladie, de se projeter dans des voies, des pistes, des mobilités de manière à exorciser la souffrance (…) contre les douleurs griffues de l’arthrose, contre le froid envahissant des vertiges, contre l’ angoisse, la peur ! »
Et l’on ne peut que se rallier à la conclusion qui salue une artiste majeure en prise sur les problèmes essentiels de l’humain et une œuvre majeure, composée à l’écart des mondanités et des salons, mais qui attend encore que l’on en reconnaisse la valeur véritable, loin des sentiers battus…
Joseph Bodson
Cette publication accompagne l’exposition Cécile Miguel. Au creux des apparences, qui se tient au musée de la Boverie du 23 mai au 18 août. Les expos — Liège (laboverie.com

Joseph Bodson

Béatrice Libert, Cécile Miguel et l’Age d’or, là je dors. Regard sur un tableau, Le Taillis Pré, Collection Essais & Témoignages, 2024, 86 pp., 15 €.