Nathalie Boutiau

Souvenez-vous  

Souvenez-vous, il faisait gris ce jour-là. Et nous marchions quelque part sur la Terre.

Votre main se refermait sur la mienne et notre pas se faisait plus léger.

Vous disiez que ce qu’il y a de beau ici ce ne sont pas toutes ces ruelles que l’on traverse ni ces pierres que notre pas caresse, mais la lumière qui s’y faufile et l’ombre qui la rejoint.

Et puis quand vous parliez, c’était différent. Vous disiez les courbes qui dessinent le paysage et l’éclat de lune qui y louvoie. Vous racontiez le silence de nos gestes et le murmure de nos voix.

Alors, on fermait les yeux ou on les baissait, tout simplement, par pudeur, et on s’imaginait le matin de tous les possibles. On se disait « tu » aussi, on se disait tout…

Mais maintenant, votre main se referme sur le vide et vous ne parlez plus – ou si peu – et je ne vous entends plus. C’est parce que vous avez fini de croire aux enfants de lumière.

Si les rues sont désertes ? On pourrait le croire. Pourtant, à certaines heures du soir, au coin d’une rue, à l’ombre d’un arbre, sur un banc, ils sont là. Ils se racontent leurs jeux et ils rient aux éclats. Ou ils se taisent et sourient tout simplement. Ils saluent les passants aussi,

même s’ils ne les voient que pour la première fois. Sur leurs visages, alors, défile le temps et passent la pluie, le froid et le vent. Mais qu’importe puisqu’ils sont confortablement assis dans leurs rires.

Vous disiez encore que l’important ce n’est pas la puissance, la gloire, ni l’argent. Vous disiez que l’important, c’est l’Homme. L’Homme et l’étendue de cette lumière qui berce le monde, doucement.

L’Homme et toute sa capacité à aimer. Aimer un souvenir, aimer la vie ou aimer un enfant parti trop tôt. Car dans la lumière de leur regard, c’est tout un monde qu’ils font renaître ou qu’ils réinventent – et c’est pareil.

Souvenez-vous, il faisait froid aussi ce jour-là. Mais nous marchions d’un pas léger pour rejoindre cette lumière silencieuse. Celle que les enfants laissent traîner derrière eux pour bercer le monde, doucement.

Cercle de lumière

A deux, bouche ouverte contre les silences de la nuit, pour courir et revenir l’instant d’après

Parce que l’un des deux s’est enfui. Le retenir ? N’y pensez pas. Mais s’asseoir ou s’accroupir pour regarder danser le monde puis, avec son doigt, dessiner un cercle de lumière et attendre toute la nuit. Attendre que l’ange perdu vienne s’y poser à pieds joints et nus, ailes baissées, caresser le front perlé de l’enfant assoupi…

Voilà comment naissent les histoires ici. Celles que l’on raconte le soir au pied des grands arbres dans le creux de l’oreille des enfants assis sur le rebord du monde ;

Car au commencement, il y a toujours un murmure. Un souffle qui apaise et en même temps rassure. Celui qui vient depuis la nuit des temps frôler le visage des passants perdus, naufragés d’un monde sans gloire.

Ce qu’il raconte ? Difficile à savoir. Un balbutiement, un mot d’enfant, une histoire sans fin et qui glisse lentement dans le silence des chemins pour un peu plus d’éternité.

Le retenir ? Surtout pas. Mais l’écouter, tout simplement, et se laisser porter par ce souffle qui rassure et apaise en même temps.

L’enfant a encore écrit – encre noire sur fond gris :

« Nous sommes tous atteints par ce souffle qui résume un peu le monde. Mais pour l’entendre, même quelques secondes, ce qu’il en faut de la patience et de l’attention. Puis quand cela arrive, le cercle de lumière dessiné au commencement se remplit de cette présence : l’ange perdu, ailes baissées, caressant le front perlé de l’enfant assoupi »

Son pas dans le mien

Au commencement il y a le souffle, régulier, qui rassure.

Douce berce comprise entre ce cri attendu et le silence qui le prolonge, en pointillés – presque.

Vient le nom souhaité comme une promesse d’amour

et qui tient tout entier dans la bouche.

Ce mot – maman, empreinte de soi laissée en suspens

pour ne rien brusquer, ne rien défaire et laisser faire…

Langage articulé, apprivoisé.

Plus tard, son pas dans le mien, trace d’autres lendemains

renouvelés dans l’enfantement d’une lumière joyeuse et éphémère.

Ange et fée confondus…mère!

Douceur éternelle, Armonie, elle, moi, nous au pluriel…

De ce temps recomposé, blotti dans ce souffle de vie qui nous rapproche,

l’arrondi de ses yeux où dansent encore deux petits morceaux de ciel bleu.

Dans nos pas

Au commencement, ils sont dans nos bras et il y a leur souffle, régulier, qui s’accorde au nôtre, comme une berce. Ensuite, dans nos pas, ils sont là à portée de voix, dans l’angle d’un regard qui ne les quitte jamais tout à fait. Ils sont nés fils et nous reconnaissent mère dans cette unique seconde qui a précédé leur cri.

In les touche du bout des doigts, étonnées, on les effleure, étourdies et ça rassure parce que sous la paume, la peau reste chaude et précieuse.

Ils nous glissent à l’oreille ce mot doux qu’on attend d’eux – maman – et qui nous a été donné à leur naissance. Ce mot qui s’enroule tout entier sous la langue et puis qui se déroule pour tenir en haleine le monde comme si son sort en dépendait.

Ensuite ils grandissent et quittent l’enfance. On dit qu’ils s’éloignent de nos jupes de mère, de nos bras et on laisse faire parce que c’est comme ça, c’est ainsi. Et qu’on ne peut rien y changer.

Nous sommes mère et ils sont fils. Le mien qui a maintenant 15 ans se prénomme Robin et m’appelle encore maman…

Mères

Elle porte des vêtements usés et ça n’a pas d’importance.

Vraiment pas.

Elle marche à ses côtés, son pas s’accordant au sien à moins que ce soit l’inverse. Elle le conduit chaque matin, lui tenant la main jusqu’au moment où il faudra bien se séparer. C’est comme ça. L’un et l’autre le savent.

Tout entière dans le geste qui rassure, elle veille.

On dit aussi qu’elle prend soin de lui comme on pourrait prendre soin du monde.

De la manière la plus simple qui soit.

Arrivés dans le couloir, elle déroule son écharpe, retire sa capuche, déboutonne son manteau puis elle l’embrasse.

Et à chaque baiser donné, elle allume une étoile dans le ciel de son enfant.

De l’autre coin de la rue, une autre mère habillée différemment.

Et cela n’a pas d’importance.

Vraiment pas.

Car toutes les mères sont pareilles.

D’ici ou d’ailleurs, elles sont habitées de cette même solitude qui sacre la vie et son enchantement simple.

Et chaque matin en conduisant leur petit à l’école, ce sont les mêmes baisers qu’elles donnent, la même attention.

Et jamais ça ne s’arrêtera…

Vous la regardez

Vous la regardez de loin et,

dans cette seconde qui vous rapproche d’elle,

dans cet instant où passe son ombre,

vous ne la voyez plus.

Vous ne gardez alors de ses yeux que la transparence du ciel

où s’étale un bleu inouï qu’on dirait d’aquarelle.

C’est comme ça.

Vous la voyez avec des affaires sombres qu’elle porte quand il pleut

et même quand le soleil la regarde du coin des yeux.

Le rose endormi qui lui donne un teint vermeil,

elle le garde pour les jours de grande lumière, elle le veut ainsi.

Et quand elle s’approche de vous et qu’elle se dévoile enfin,

sans fard dans les yeux, vous retenez vos mains

de peur de ne pouvoir la garder encore près de vous…