Corine Hoex, Uzès ou nulle part, Bruxelles, Le Cormier, 2020, 94 p. (17€)

 

 

Le manque obsessionnel de l’absence d’un être aimé   

Le titre du recueil de Corinne Hoex indique assez clairement le chemin de sa lecture. La ville d’Uzès existe ; sa phonétique est proche du participe passé usé. L’association avec nulle part complète le nom de cette cité avec la suggestion qu’elle existerait pour celle qui en parle à condition de l’avoir visitée. Tout est là qui s’explicite dès le premier texte.

Chacun a connu des personnes aimées qui leur ont promis qu’un jour, ensemble, ils visiteraient un lieu ; chacun a connu cette déception que cet engagement n’a pas été tenu. Parce que la personne est décédée, parce qu’elle a rompu une passion amoureuse ou interrompu une amitié, parce que des circonstances imprévues l’ont éloignée géographiquement. Ce manque est d’autant plus fortement ressenti lorsque les liens tissés avaient été profonds, lors que la rupture fut définitive et que la promesse devint « Un leurre. Une chimère. / Un divin mirage ».

Corinne Hoex donne à ce vide une transcription littéraire qui le traduit avec obstination. Son livre se construit en tensions plurielles autour de l’antagonisme fondamental présence><absence.  Il se décèle à travers une série de duels : passé><présent, parler><se taire, clarté><obscurité, ouverture><fermeture,  conquête><défaite, vérité><mensonge…

Tout drame a son décor sonore. En l’occurrence, il est orchestré par le vent, déjà bien présent dans « L’autre côté de l’ombre ». C’est un élément porteur d’un symbolisme fort, comme le synthétise l’ultime phrase du livre qui en résume la portée : « Une rose sur sa haute tige d’épines résiste aux assauts du vent ». C’est le mistral, « Le vent fou en rafales », « Le vent fou sur la mer », « Le vent dans la pinède », « Dehors le vent sous les tuiles du toit » au point parfois de rendre  une personne « Ivre de vent » ou c’est un « vent léger dans l’ombre des lavandes» qui accompagne « Bruissement de l’eucalyptus », « crépitement des cigales », « Crissement du gravier » tandis que « Les arbres grincent / sous la brise ». Plus discret et non lié aux intempéries, c’est le souffle, celui de la respiration, variable selon les émotions ressenties.

Astuce typographique élégante et discrète, pour permettre au lecteur d’imaginer le couple en présence,  en instance d’absence, les mots d’écriture de la femme sont en police normale, ceux du partenaire en italiques. Ce procédé s’accommode fort d’un style elliptique qu’affectionne Corinne Hoex afin d’éviter tout pathétique ou toute emphase hérités d’un lointain romantisme. Elle ne craint nullement, par contre, la répétition. Ses poèmes s’enfilent les uns derrière les autres comme des broderies de paysages miniaturisés dont on retrouve des motifs. Le vide laissé par l’absence de l’autre est en effet obsessionnel.

La concision poétique mène le lecteur à suivre l’évolution d’un moment douloureux, de la déchirure initiale à une sérénité espérée, de la fin d’une illusion à la lucidité de poursuivre autrement une existence amputée d’une présence nourricière mais enrichie d’un désir de continuer une existence à travers un appétit de vivre.

Michel Voiturier (23.11.2020)