Marcelle Dumont

MARCELLE DUMONT SE RACONTE

Je suis née à Erquelinnes, le 26 janvier 1931.

Auteure et journaliste indépendante, j’ai collaboré de 1958 à 1974 à Germinal et au journal Le Peuple. J’y ai couvert de nombreux thèmes culturels et de société.

Dans les années 60, j’ai signé nouvelles et récits dans le Thyrse, Audace et Marginales. En 1969 Pierre De Méyère a publié mon roman « La Veuve ».

J’ai publié des textes pour enfants dans Libelle, dont le feuilleton « Rigodon, héros de l’Espace », illustré par Jean Roba.

J’ai collaboré de 1978 à 1980 à l’hebdomadaire Spécial et de 1980 à 2002 au journal Le Soir.

Comme auteur dramatique, j’ai adapté « Boule de Suif », de Maupassant, pour le Théâtre de l’Equipe. Pièce jouée en 1973 et reprise en 1992, dans une adaptation nouvelle.

J’ai signé trois pièces originales « Les Menottes » (1975), « Ceux de la Bécasse » (1980), et « Regrets Eternels » (1994), toujours pour le Théâtre de l’Equipe.

Je suis l’auteur de la plupart des dialogues et commentaires des films de mon mari, dont je fus l’assistante, lors de voyages au Groenland et aux îles Féroé.

Je l’ai accompagné notamment en 1964 au Groenland, où il réalisait un film sur les glaciers polaires.  Le récit de ce voyage « Pour un fleuve de glace » figure dans le coffret que la cinémathèque du ministère de la Culture a consacré en 2009 à mon compagnon, sous le titre « Des Marolles au Groenland, Jean Harlez, un homme qui voulait filmer à tout prix ».

J’écris actuellement des nouvelles, car l’écriture est restée vitale pour moi.

La concision de cette biographie laisse dans l’ombre des pans entiers de ce qui m’a modelée. D’abord mon métissage belgo-belge, auquel je tiens beaucoup.

Je suis née en Hainaut, comme mon père qui était un vrai wallon, blagueur et bon vivant. Tel aussi mon grand-père paternel, le seul aïeul que j’aie connu.

Ma mère est née à Ixelles, dont sa mère était originaire. Son père était un  flamand des environs d’Ypres, venu s’installer à Ixelles. C’était un pâtissier accompli que Maman a secondé la nuit, dès l’âge de douze ans. Elle trouvait le temps, entre deux régiments de petits pâtés, d’embrasser sa poupée cachée dans un placard. C’est là qu’elle a rencontré, quelques années plus tard, un joli brun à moustache, venu se perfectionner dans le métier. Elle a jeté son dévolu sur lui. Je suis la sixième et dernière fille de ce couple.

Entre la rigueur et le réalisme de ma mère, relevés d’une pointe d’humour bruxellois, la gouaille pleine d’esprit de mon père et son humanité profonde, je me sens très belge.

Je comprends et j’adore pas mal de patois, du picard au borain, du wallon de Charleroi à celui de Namur, sans être capable de les parler couramment. Mais le français est vraiment ma langue. Celui, à la fois populaire et juste, de papa, celui des religieuses françaises dont j’ai fréquenté l’établissement, de l’école primaire à la deuxième année de latin-grec.

J’ai ensuite poursuivi mes humanités dans un lycée pour jeunes filles, rue Emile Tumelaire, à Charleroi. Il est devenu mixte bien entendu et s’appelle désormais Athénée Vauban. Ce lycée m’a beaucoup marquée. Peut-être parce que mes études se sont arrêtées là. Au grand dépit de mon professeur de français qui me considérait comme un petit génie. Elle s’est fâchée, lorsqu’elle apprit que je renonçais aux études universitaires pour me marier. Et, dans sa faconde carolo, elle m’a souhaité d’être cocue. Je ne lui en veux pas. Je pense toujours à elle avec affection, comme à beaucoup de mes professeurs.

L’amour de la langue et de l’écriture ne m’a jamais quittée. Il s’est emparé de moi vers les treize ans et il me tient toujours autant. Donc, à cet âge, j’ai écrit des poèmes satiriques, à la métrique hasardeuse, dont mes proches faisaient les frais. Ils étaient assez féroces et étalaient leur graphisme un peu pointu sur un carnet vert que j’ai égaré. Pas de regrets !

D’ailleurs, un an plus tard, mon inspiration avait changé et je plongeai dans un romantisme naïf, qui se lisait jusque dans une écriture très penchée à droite. Telle une rangée de peupliers caressée par le vent au bord de l’eau.

Très vite je suis passée à la prose, avec des récits, des impressions, des nouvelles. Puis vint un premier roman, tapé sur stencils. En même temps, Jean, et moi avons débuté notre collaboration. Il assemblait les textes que j’avais tapés sur mon Hermès Baby et j’ai écrit le commentaire de son premier film, sur une coopérative agricole de Solre sur Sambre.

Nous avons mangé pas mal de vache enragée pendant quelques années. Hélas ! Pour nos deux filles surtout. Mais nous avons bien ri et nous avons cultivé une foule d’amitiés. Nous avons vécu beaucoup d’aventures intéressantes, nous soutenant mutuellement, chacun s’interdisant d’entraver l’autre dans ses projets. Jean m’admirait, je l’admirais. L’amour fou de notre jeunesse s’est mué au fil du temps en un solide compagnonnage, sans trop de heurts, en dépit de quelques solides engueulades.

En 1978 j’ai renoué avec le journalisme, d’abord pendant deux ans pour l’hebdomadaire Spécial, et ensuite, pour Le Soir. Cette dernière collaboration  s’est poursuivie jusqu’en 2002.

Ensuite, je le répète, mon besoin d’écrire et de communiquer est resté vivace . Tout comme celui de découvrir d’autres auteurs et auteures. Je pratique assidûment la lecture, « ce vive impuni ».

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ODE AU CHEMIN DE FER

en marge de la disparition programmée de la ligne 130a.

La pétition en faveur du maintien de la ligne de chemin de fer 130a Charleroi-Erquelinnes m’interpelle. Je l’ai signée et partagée sur Facebook. Les personnes qui habitent la région, comme celles qui y possèdent des parents ou des amis, soulignent l’importance de cette ligne pour eux. Nous sommes aussi concernés, car nous avons toujours une résidence secondaire dans notre village natal. Nous avons envisagé récemment de nous y rendre en train, parce que la voiture, malgré son côté «porte à porte», devient pénible pour un conducteur âgé. Je ne me fais pas d’illusion sur le succès de cette pétition auprès de la SNCB qui court après la rentabilité, sans trop se soucier des milliers de personnes qui comptent sur elle, pour se déplacer quotidiennement.

Le rail a véritablement bouleversé le mode de vie dès le dix-neuvième siècle, il a également inspiré beaucoup d’artistes, photographes, peintres, cinéastes, écrivains, ce qui témoigne de la fascination exercée par ce moyen de transport, alliant la poésie et le rêve. Je songe à Agatha Christie, Conan Doyle, Alfred Hitchcock, Patricia Highsmith, Marcel Proust, tous chers à mon cœur, sans que cette liste soit limitative.

Le rail pourrait reprendre aujourd’hui une place primordiale, si nous voulions vraiment diminuer la pollution, contribuer au développement durable et cesser enfin de considérer la voiture comme synonyme de liberté, alors que la circulation sur nos routes est devenue un enfer.

Comme usagère des chemins de fer belges et particulièrement de la ligne 130a, je me souviens avec nostalgie des jolies petites gares fleuries qui la ponctuaient. Il ne subsiste que celles de Thuin et de Lobbes. Celle d’Erquelinnes est vouée, je crois, à une école de musique. C’est beaucoup mieux que ces fantômes de gares barricadées, taguées, vandalisées, devenues de simples haltes où il faut dialoguer avec une machine pour obtenir un ticket.

Je déplore aussi que la gare de Liège, certes prestigieuse, soit une usine à courants d’air, tout à fait inhumaine en hiver, après avoir mis à sac tout un quartier, aujourd’hui toujours sinistré.

Quant à la future gare de Mons, elle a bien de la peine à sortir de terre. Je regrette l’ancienne gare de la place Léopold, abattue sans pitié. Elle était facile d’accès, relativement accueillante et nantie d’une salle d’attente, dans laquelle on pouvait attendre un train à l’abri des intempéries. En sortir était relativement simple, alors que la halte actuelle est un vrai cauchemar pour les arrivants, dont le périple débute par l’obligation de se farcir un plan incliné en forme de raidillon où ils subissent sans protection aucune, neige, vent, verglas ou soleil de plomb. Après quelques mètres de plain pied, les voilà repartis pour un autre plan incliné. Pas un problème sans doute pour les jeunes et les sportifs, mais une calamité pour les vieux dont je suis, les personnes handicapées, les cardiaques, les mamans chargées d’enfants, les voyageurs avec bagages, et ceux qui pensent naïvement que pour gagner le quai de départ il y a un escalator ou un tapis roulant à leur disposition

Je me souviens avoir mangé de la cuisine française de qualité au Buffet de la gare de Copenhague dans les années soixante. Les serveurs étaient aimables et stylés et on y mangeait sur des nappes blanches damassées, tandis que nos doigts pouvaient se perdre dans de moelleuses serviettes. Les Buffets ont disparu chez nous. Dans les cathédrales grandioses encore debout, dédiées jadis au dieu chemin de fer, on ne dispose plus que de distributeurs d’eau et de sodas, pour la soif, et de coupe-faim standardisés et désolants. Bien pauvres viatiques! C’est en tout cas ce que nous avons vécu, voici une dizaine d’années à Tournai, alors que nous avions une heure d’attente devant nous.

A Bruxelles, gare du Midi, pas de Buffet. Toutefois on peut y manger sur le pouce et se fournir en boissons et en-cas. à emporter. Ici aussi règne le fastfood et une atmosphère pragmatique et inhumaine d’aéroport.

Mais laissons là cette polémique. Je préfère revenir sur ce que le chemin de fer a signifié pour ma famille et celle de Jean. Le père de Jean était cheminot. Il fut tout d’abord engagé au Nord belge comme forgeron, après réussi sa pièce d’épreuve à Paris. Au début de la deuxième guerre mondiale, la SNCB a repris l’exploitation de ce réseau en Belgique. Notre ligne nationale s’est montrée moins généreuse envers ses travailleurs que la compagnie française. Mon futur beau-père, en tant qu’ouvrier qualifié, capable de diriger une équipe et de forger les pièces nécessaires à la signalisation mécanique de l’époque, bénéficiait au Nord belge d’un certain nombre de tickets gratuits en seconde classe, pour lui et sa famille. C’est grâce à ces tickets que Jean et sa sœur Irène purent découvrir la mer du Nord et Paris. On partait très tôt le matin, pour revenir à la maison le soir même. A la grande fureur de la maman, il fallut dès lors voyager en troisième De plus, le salaire du père de famille se trouva fortement diminué, ce qui créa pas mal de conflits au sein du ménage.

Les meilleurs moments du père de Jean au travail furent certainement ceux où il vivait quelques jours au wagon avec son équipe, quelque part en Belgique, loin de chez lui. Comme logement: un wagon aménagé, où ils vivaient entre hommes, dormant, concoctant leur tambouille, se détendant après le travail, sans devoir s’essuyer les pieds avant d’entrer, comme lorsque leurs femmes venaient de nettoyer la cuisine. Tout à côté de cette tanière, un second wagon abritait les outils et la forge. Est-ce pour cela qu’Arnould resta toujours fidèle à sa casquette de cheminot du Nord belge, même lorsqu’il fut retraité?

Lorsque Jean, aujourd’hui, constate que toute la signalisation est informatisée, il se souvient des départs matinaux de son père. Il lui fallait par tous les temps se rendre sur place, grimper sur les poteaux pour réparer les pannes, à mains nues. Il se dit que la vie a été dure pour son papa, mais également pour sa maman, qui se levait aux petites heures pour allumer le feu, faire du café, préparer le «briquet» de son homme.

Pendant la guerre, Arnould se retrouva à la forge de la gare frontière d’Erquelinnes qui était aussi une importante gare de triage.

Il y avait dans le voisinage de la famille Harlez une charmante maisonnette de garde-barrière, habitée par Olga, une amie du couple parental. Oscar, le mari d’Olga et leur fils Marcel, étaient piocheurs. Les mains d’Oscar étaient tellement indurées qu’il pouvait à peine les refermer. La pioche toute la journée dans les voies, la bêche pour la soirée ou le petit matin, car il fallait travailler dans le jardin, dont les pommes de terre et les légumes étaient si importants pour le ménage. Mais les voisins demandaient aussi un coup de main à l’occasion . Sans compter qu’il fallait parfois fignoler le jardin d’un «chef». Le mot esclavage aurait été mal venu et le respect et la crainte de l’autorité étaient tels qu’il ne serait pas venu à l’esprit de ces gagne-petits de se rebiffer.

Il arrivait à Célinie de traverser les voies, pour aller dire bonjour à Olga, avec ses enfants ou ses petits-enfants. Je l’ai accompagnée plusieurs fois avec Claude et Françoise, après un regard prudent à gauche et à droite vers les voies. Bien sûr, Célinie connaissait l’horaire des trains de voyageurs et elle estimait que c’était suffisant. Tout le quartier faisait de même, avec une sorte d’innocence, sans se soucier des interdictions officielles et du danger potentiel. Olga, Oscar ou Marcel faisaient donc aussi le trajet inverse, pour demander conseil à Madame Harlez , sorte de divinité qu’on révérait, mi par crainte mi par affection, et dont les connaissances dans tous les domaines étaient incontestables à leur avis.

J’adorais aller chez Olga. Elle était bonne comme le pain et craintive à l’extrême. Elle ne voulut jamais installer le gaz chez elle, après avoir accepté à grand-peine l’eau courante. Si bien que chaque matin, il lui fallait allumer son magnifique poêle de Louvain, pour faire son café et son frichti de midi. Le soir, c’était tartines, et café de la cafetière qui avait mijoté toute la journée au bout du poêle. Café bien noir, comme on le buvait alors en Wallonie, car, après le «premier passé» réservé à la maîtresse de maison, on lui adjoignait un complément généreux de chicorée, avant de l’arroser généreusement d’eau bouillante.

Sur l’emplacement de la maisonnette si chaleureuse d’Olga se dresse aujourd’hui un funérarium. En 1990, peu après le décès de la maman de Jean, un gendarme retraité qui entretenait le jardin – pour éviter l’envahissement par les «cruaux» (mauvaises herbes), afin de prévenir tout reproche des voisins – nous invita un jour à visiter le funérarium, tant il le trouvait majestueux.

La défunte ligne Erquelinnes-Binche est aujourd’hui un RAVEL. Si j’y fais quelques pas, je me souviens que les parents de Jean venaient nous saluer du bout de leur terrain, en agitant leurs mouchoirs, quand nous rentrions à Bruxelles par la ligne de Binche. Dans les années cinquante, il y eu même une micheline Erquelinnes-Bruxelles, via Binche, qui permettait de gagner la capitale rapidement, sans devoir changer de convoi.

Si la ligne 130a disparaît à son tour, je ne crois pas que la SNCB la cédera pour faire un RAVEL, car il y toujours des internationaux qui passent par la gare d’Erquelinnes, mais sans s’y arrêter, comme c’était encore le cas lorsque je me rendais au lycée de Charleroi entre 1946 et 1950. Le mercredi après-midi, après avoir mangé au réfectoire, j’empruntais le Paris-Cologne pour rentrer à la maison. J’étais toute heureuse, car l’express était plus prestigieux que le vieux train de bois du matin, plein d’écoliers et de travailleurs, avec ses lourdes portières s’ouvrant directement sur le quai à chaque arrêt. De quoi avoir les jambes gelées, l’hiver. Avec l’express, j’avais comme un avant-goût de voyage et d’aventure, même si ce n’était pas l’Orient-Express. Je rêvais devant l’avertissement «è pericoloso sporgersi» et la poussière de charbon accumulée le long des fenêtres. A mes yeux cette voiture s’était aventurée plus d’une fois sous les cieux ensoleillés de l’Italie. C’était plus ensorcelant en tout cas que le «niet spuwen» des humbles trains d’ouvriers venus des confins de notre plat pays.

Excellente transition pour vous parler de la gloire défunte de la gare d’Erquelinnes et de son Buffet, liées pour moi à des souvenirs familiaux presque immémoriaux!

Mon grand-père Dumont, le seul aïeul que j’aie connu, avait été chef de gare, à La Buissière, et peut-être aussi à Thuin. Il assumait également des travaux de comptabilité pour le chemin de fer et il avait géré le Buffet de la gare d’Erquelinnes, avant que son fils Gaston le reprenne à son tour. Ma famille détient encore une photo de l’une des salle-à-manger prestigieuses de ce Buffet qui disposait aussi de chambres pour voyageurs. Ma grand-mère, excellente cuisinière, était aux fourneaux et mon parrain Marcel, après avoir redressé ses longues moustaches en croc et revêtu une veste blanche, ouvrait à la volée en gouaillant les portes du Paris-Cologne.

-Erquelinnes, une heure d’arrêt, le temps de se rincer la dalle au Buffet!

Car si mon grand-père était bien pensant (il jouait aux cartes avec le curé), il avait engendré, outre deux filles bien élevées, cinq fils effrontés, anti-cléricaux, blagueurs, boit sans soif, trousseurs de filles et forts en gueule.

Dans l’entre-deux guerres, Erquelinnes était une localité frontalière florissante, grâce aux industries de Jeumont, la ville française voisine. Elle grouillait d’ouvriers frontaliers, de cadres, d’ingénieurs, de commerçants, de douaniers et d’agences en douane. Les douaniers possédaient non loin de la gare leur quartier, tout comme les employés du chemin de fer. Une foule de travailleurs prenaient chaque jour le chemin des usines de Jeumont, qui à pied, qui à vélo, qui des trains débarquant des fournées d’hommes avec coupons de semaine. Les Flamands fuyant la misère étaient nombreux, traînant un grand sac en tapisserie plein de hardes, de lard, parfois de pain fait maison par leurs femmes ouvrières à domicile et/ou s’occupant de la vache, du cochon, des poules. Certains d’entre eux, selon des témoignages de l’époque, dormaient par économie au pied de leur machine et ne rentraient chez eux qu’en fin de semaine.

Mon père livrait du pain, des flûtes (baguettes) des tire-bouchons (sorte de petites flûtes), de la pâtisserie bourgeoise au Buffet. Sa prospérité lui venait aussi de sa qualité de fournisseur de l’école des Arts et Métiers et du pensionnat de l’Immaculée Conception, deux institutions d’enseignement françaises qui s’étaient installées en Belgique, après la séparation de l’Église et de l’État dans leur pays. Institutions qui comptaient de nombreux pensionnaires.

L’oncle Marcel, assagi par le mariage, tint quelques années plus tard le Buffet de la gare de Quévy. J’ai de merveilleux souvenirs de ce Buffet et de l’arbre de Noël majestueux que ma tante Maria y dressait.

En 1947, maman décida d’offrir à ses deux cadettes quelques jours à Paris. A part notre périple de l’évacuation qui nous mena en Dordogne pour quelques mois, il s’agissait de mon premier grand voyage. Et quel voyage merveilleux, puisqu’il me permit de découvrir Paris et de l’aimer d’emblée! Nous logions square Montholon .Le fils aîné de Mr Levasseur qui nous avait hébergés une nuit à Tourville, en mai 1940, nous servait de guide. J’ai une pensée émue pour lui, car il nous mena de la Comédie Française au zoo de Vincennes, et nous fit découvrir Le Printemps, où maman nous offrit à chacune un coupon de soie.

Et quelle joie d’emprunter le métro, peu de temps avant Zazie, de découvrir son odeur, ses murs de faïences et ses publicités! De deviner le Paris de la mangeaille, de saliver devant la foule de coquillages cascadant jusqu’au bord du trottoir! Je connaissais les moules et les crevettes de la mer du Nord, mais non les huîtres, les coques, les bigorneaux, les encornets et autres fruits de mer dont j’ignore encore aujourd’hui le nom. Et je ne parle pas de la carafe de vin rouge qui nous faisait de l’œil sur la table du restaurant. Cependant pour découvrir toutes ces merveilles, il fallait prendre le train, subir l’attente d’une heure à la gare d’Erquelinnes, pour les contrôles de la gendarmerie et de la douane. Et rebelote de l’autre côté de la frontière, à Jeumont. Et puis l’express qu’on qualifierait de tortillard, comparé aux trains à grande vitesse d’aujourd’hui, s’ébranlait. Quelques heures s’écoulaient encore avant d’arriver à la gare du Nord. Mais elles m’ont paru courtes, préambule à une aventure que je pressentais inoubliable.

MARCELLLE DUMONT