Emmanuelle Ménard Attention, fermeture automatique des cœurs, départ imminent suivi de Le chemin illustrations d’Emmanuelle Ménard poèmes et prose éditions Le Coudrier (novembre 2023, 137 pages, 22 euros)

La poésie d’Emmanuelle utilise, pour s’exprimer, un ressenti direct lui donnant un ton à la fois accessible, moderne, original sans pour autant détailler ce qui suscite une ouverture entretenant le mystère :   « rêve défunt/ je voudrais être les gens du coin/ Ceux qui restent sans se demander/ Ceux qui partent sur les routes/à l’intérieur là-bas au creux de l’infini/ Je voudrais être…/tant d’êtres à la fois. » Quand l’auteure s’en réfère aux mythes littéraires, elle se sent habitée. Ainsi évoque-t-elle, par exemple, Françoise Sagan : « …/ Et je voudrais fumer/ chaque nuit avec toi/ à la même cigarette/ Boire aussi dans ton verre/ qui fait couler les larmes », sa démarche contournant toute facilité. Ne dit-elle d’ailleurs pas : « Plutôt l’âpre chemin/ que le doux pas du vivre » ?
L’auteure se sent imprégnée ainsi des doutes du monde, cherchant l’échappatoire, criante de liberté : « Je partirai sans toi/ en tirant tous les fils/ Le pas fier et luisant/puisque le premier ».
Sans frontières, la poétesse se veut voyageuse mais avec intuition et engagement tandis que son Amour exprime une certaine exclusivité : « Ne me donne pas de mots/ tu es tous les mots/ Ne me donne pas ta voix/ tu es toutes les voix ».
Elle illustre avec talent elle-même ses textes lui permettant une double expression : « J’ai perdu la peau des mots/ Mais pour quelle autre peau ? ». Celle de la couleur, peut-être l’Art semblant pour l’auteure être un aboutissement à ses questionnements. C’est parfois en prose que l’auteure accouche d’une destination idéalisée et virgilienne : « Il ira dans la pierre, celle du berger qui veille, et des chèvres autour…IL IRA…cinq lettres d’or ». Un texte en prose évoquant Paris me rappelle l’écriture du brillant Léon-Paul Fargue.
« Le chemin », dernière partie de ce recueil très dense, suscite une énergie progressive inspirée du chemin de Saint François d’Assise découvert en partant de Vélezay. La beauté exprimée est à couper le souffle : « Le chemin comme une vasque où l’on bénit ses mains, un air si familier et pourtant méconnu. Le chemin comme la chair d’un animal blessé, et qui sourit aux yeux parce qu’il sait qu’il va vivre/…/Le chemin me prend et non l’inverse », l’auteure nous rappelant quelques grands auteurs, évoquant Solitude et Plénitude et citant Vigny : « La solitude est sainte ». Si sur ce chemin « Je est un autre » ( la poétesse citant Rimbaud), la réussite dépend de la persistance à être, à être vraiment…

Patrick Devaux