Françoise Duesberg,  Le Fleuve et la Barrière,  Academia, 2015-11-17

Le fleuve de la vie, de la vie d’un couple, de leur fille, de leur petite-fille et des autres, le fleuve des rencontres, des hasards, des amours et des fugues, des disputes et des retrouvailles, le tout étonnamment narré par chaque personnage, penché l’un après l’autre sur l’écritoire, ce qui nous donne un éclairage fort contrasté sur l’histoire de cette famille, à la fois banale et surprenante. La barrière, tout aussi symbolique, d’une vieille propriété normande, un point de départ et d’aboutissement, un titre de roman, comme le fleuve le sera aussi : mais finalement ce sont deux romans que l’auteur nous annonce à la fin de cette saga, l’un écrit par l’aîné de la tribu, l’autre par le père de celle qui se réjouit de l’événement éditorial. Compliqué ? Nullement, sauf peut-être la nécrologie qu’il faut savoir rédiger au décès de la grand-mère, sans oublier personne, même les tout nouveau-venus, qui se pointent dans les dernières pages du livre… On l’aura compris : si chaque destin particulier n’a rien d’exceptionnel, par contre la méthode d’écriture, la pluralité des voix, la découverte de points de vue tout à fait différents, le regard et le jugement que chaque membre de la famille porte sur le parent, le frère, l’amant, la rivale, la fille, l’amie…sont réellement passionnants à lire. On voyage aussi un peu partout et particulièrement en Belgique, à Wépion, le long de la Meuse, et à Paris, le long de la Seine ou sous les ponts complices. Trente chapitres composés d’une main de maître, très ironiques, bousculant les petites valeurs auxquelles trop de gens s’accrochent pour tenter de vivre en paix. Dans ce roman atypique, il y a pas mal de clichés qui sont mis en pièces et l’on sent le souffle de la révolution, de l’anarchie même, tourbillonner entre les lignes et s’engouffrer même en pleine page quand se produit, en 2020, le formidable Jeudi Rouge… 

                                                        Michel Ducobu