Geneviève Bauloye, Lumière voilée, La feuille de thé, 2022, poèmes, 40 pp., 18 €.

Un recueil aussi précis, dans sa concision, que l’est le recueil .lui-même.

L’auteure n’intervient pas, ou du moins très peu, par petites touches impressionnistes, dans le déroulement des saisons, qui constitue la toile de fond de ce recueil. Nous en voilà prévenus dès la première strophe du premier poème: Matinale, détaché de la forêt qui termine le vers précédent, et aussitôt suivi d’un substantif qui marque l’atmosphère: nuances, et enfin d’un seul mot, avril, nous situant au printemps. Et, dans la seconde strophe, de façon assez étonnante, nous n’avons pas ici une description de la nature en une sorte de nature morte, de paysage qui se laisse faire, mais bien une nature animée et vivante, mais d’une vie tout intime et personnelle à l’auteure: L’aurore envahit la maison / Le sentier retrouvé / Des fraisiers en fleurs. Animée et vivante, cette nature, sans être conçue pour autant comme un être vivant, une sorte de divinité panthéiste. Non, seulement dans ses rapports avec l’auteure, elle-même prise dans le filet des saisons, et toute présente, mais d’une présence discrète, comme derrière un voile.

Et l’on pourrait ainsi déconstruire toutes les strophes du recueil (une ou deux par pages, avec le nombre de vers que réclame son ouvrage): chacun est porteur d’une charge saisonnière, et dans chacun, ou presque, la touche légère de l’observatrice, elle-même prise dans le filet des mois et des saisons. Mais c’est là – ce que nous faisons – travail de critique, qu’il faut oublier ensuite, pour se laisser porter par le charme, léger, suggestif, musical. Oublier que le temps passe, et qu’avec lui nous passons, dans cette lumière légère… Finesse des nuances, et tout l’art dentellier de joindre un règne à l’autre, substantifs et épithètes. Laissons-nous donc bercer: ainsi p.8, fleurs, oiseaux et nous, et l’arbre,  ainsi réunis, tandis qu’à la page suivante surgit le mystère de l’enfance. Et si, p.11, elle évoque – invoque le soleil éclatant du soir, voilà très tôt la pluie qui revient. Et, à la page suivante, l’image du miroir, mer et ciel mêlés, est à l’image de sa vie, qui voyage, mélancolie et beauté mêlées.

Ce mélange se transmue, pour l’automne, en nouvelle intimité, du dehors et du dedans, lampes, miroir, acajou se mêlent aux fleurs et aux branches.

un souffle léger, aérien, traverse toutes ces images légères, où vient se mêler sans cris, comme une simple allusion, l‘âme déchirée du poète. Rien d’étonnant à ce qu’elle se transmue à nouveau pour l’hiver, pays d’herbe et d’ardoise, Et ce sont des formulations heureuses, même, qui rendent compte de la souffrance: calligraphie de neige, Joie simple / de la lumière, voile de cristal, ombres mouvantes, arbre-vitrail,…

Le tout forme une sorte de lanterne magique, dont la lumière, prompte et indécise, est assez proche de celle qui éclairait la chambre de l’enfant Proust, et la belle fin:: Un silence de neige / couvre l’infini, convient à merveille à cette fugue, à la poursuite du temps, sous toutes ses formes, et en tous ses sens.

 

joseph Bodson