Gérard Adam, L’Arbre blanc dans la Forêt noire, roman, éditions M.E.O., 2023, 471 pages, 28 €

Ghislain Desaive, jeune médecin bruxellois, expatrié en Kalibie (Afrique centrale) comme coopérant, découvre cette Afrique à la beauté somptueuse, et les hommes et femmes dont il va partager la vie pendant trois ans.
Il ne se lassera jamais de la splendeur des paysages, de ses haltes méditatives auprès de la rivière Tembe, après le travail intense à l’hôpital. Il apprendra à connaître et apprécier les pères de la mission et le personnel soignant de Vonzo, SON hôpital. La cohabitation sera difficile avec l’infirmière en chef, la vieille Sœur Cécile, si compétente et si acariâtre. Mais il se fera vite à Lelo, la Sœur africaine, excellente accoucheuse… et mère d’une demi-douzaine d’enfants de pères évacués sitôt leur devoir accompli ! (D’après le Père Pierre, il faudrait supprimer les sixième et neuvième commandements pour l’Afrique !). La culture indigène est loin d’avoir disparu sous l’impulsion de la colonisation, les croyances, coutumes, traditions et usages sont toujours bien ancrés. Le temps et l’effort ont une autre dimension. Les paysans n’hésitent pas à faire vingt kilomètres dans la brousse avec un brancard et à attendre leur tour pendant des heures. Trop peu de personnel, des communications difficiles, la brousse est mal desservie. Les médecins kalibiens préfèrent ouvrir un cabinet privé en ville…
Desaive se coulera aisément dans la communauté des coopérants, se fera des amis, comme Marcel, ex-hippie marié à une Africaine et perpétuellement en quête du sens de la vie. Question que se pose aussi notre médecin : pourquoi ce choix de l’Afrique ? Et pourquoi cette impression de fuite, de quête d’un absolu – auquel il ne met pas de majuscule, car il ne croit pas en Dieu.
La mort de Sœur Cécile et l’arrivée de sa remplaçante, Sœur Dyana, bouleversera sa vie. Première Africaine à occuper un tel poste, elle est si compétente, si agréable à vivre, ils s’entendent si bien dans le travail… Une amitié profonde s’installe entre eux, bien proche de l’amour en ce qui concerne Ghislain – qui s’interdit pourtant d’enfreindre le choix de célibat de la religieuse. Leur collaboration/communion les amènera à créer des dispensaires en brousse, et même un village pour les « retraités ». Desaive se sent à sa place à Vonzo. Mais il court des bruits de nationalisation, et cela pourrait bien déstabiliser le pays et détruire l’équilibre qui fait que la société fonctionne telle qu’elle est. Il y a de la pauvreté mais pas de misère dans le peuple, une pauvreté qui s’apparente à une simplicité joyeuse, sereinement vécue par la population.
Mais tout changera avec la kalibisation. Nationalisation des grandes entreprises, les petites exploitations rachetées à bas prix aux Européens, priés de vider les lieux. Mauvaise exploitation des ressources, corruption, maigre rétribution aux paysans, augmentation générale des prix, pénurie alimentaire amenant les habitants à arracher les caféiers pour planter manioc et arachides. Le pays à la dérive. Quant au docteur Desaive, il se paie une méningite, qui le laisse quatre jours dans le coma, et qu’il voit comme une sorte de mort initiatique, une naissance à autre chose. Il a beau être blanc, médecin, rationnel, le mystère de l’Afrique l’enveloppe. Et ses rêves, qu’il tente d’interpréter, où il cherche réponse à ses questions. Celui où il se voit arbre blanc dans la forêt noire, cet autre, si réel, qu’il fera en fuyant une réalité qui lui fait peur – mais que nous ne vous dévoilerons pas – ce rêve où le féticheur devin Pakontoto lui parle. Ce devin manipulerait- il sa destinée ? Qu’est-il venu faire en Afrique ?
C’est ce qu’il se demande, quand il se voit soudain mêlé de près aux soubresauts politiques qui agitent la Kalibie. Gakuba. roi des Baloyo (les anciens maîtres du pays), ex ministre lors de l’Indépendance, emprisonné puis libéré par le président Kitambu, prend la tête d’un mouvement de libération. Or, la famille de ce royal rebelle a pris place très naturellement dans la vie du médecin : il héberge Kiaku, neveu de Gakuba, qu’il aide à compléter sa formation, il a entamé une relation amoureuse avec Malu, sa nièce à la voix envoûtante… Le voilà embarqué à son corps défendant dans la destinée des Baloyo. Juxtaposition de hasards ? Ou orientation menée par une puissance supérieure ?
Le peuple souffre, les champs sont abandonnés, les militaires rançonnent… Pakontoto, guérisseur et conseiller de Gakuba, est assassiné par les soldats du président. Les violences, les exactions commises de part et d’autre n’augurent rien de bon… Nous n’en dirons pas plus. Laissons au lecteur le plaisir de découvrir cet ouvrage passionnant, écrit par un homme qui connaît bien l’Afrique pour y avoir séjourné en tant que coopérant et pour avoir participé à l’opération Kolwezi.
Il est intéressant de découvrir en fin d’ouvrage la lecture de J.C. Kangomba Lulamba, qui met l’accent sur l’émerveillement du narrateur devant la luxuriance de la nature, sur sa volonté d’ouverture, sur la qualité littéraire de ces centaines de pages, sur la façon dont l’intrigue se développe entre de multiples personnages plus attachants les uns que les autres, et enfin, sur les liens que présente ce texte fictionnel avec la réalité historique.

Isabelle Fable