Guy Denis, Corps & âme, poèmes, ill. de Pierre-Alain Gillet, Traversées, 135 pp, 25 €.

Guy Denis? Une force de la nature. Un diable d’homme, si vous préférez, et si le Bon Dieu est d’accord. Il peut être bucolique aussi bien que satirique, discret autant qu’éclatant, quand les circonstances s’y prêtent. Oui, une vraie force de la nature. Indomptable, et toujours, malgré toute cette variété, pareil à lui-même, avec le même feu, la même ardeur. Un ome tout-oute, dirait-on à Liège.

Le titre à lui seul est déjà tout un symbole…Mais allons-y voir de plus près. Dès l’abord, ou presque, passionné de musique, et de chansons. Ainsi dans Le livre de ma mémoire, ce refrain entêtant, partant d’une simple expression populaire: Il y a…Une de ces expressions que les professeurs déconseillent d’employer, parce que trop courante, à tout venant. Mais lui, Guy Eugène Eloi Ghislain, il y va de bon coeur. Ecoutez-le:

Sur le livre de ma mémoire / Il y a des étangs perdus / Les lèvres en fumée / Les gouttes dégoulinantes à boire / Pour retrouver tes nues / Flottant au gré des courants insensés // Il y a d’étranges brouillards / Qui voyagent où veux-tu // Des bonshommes goguenards / Vous serrent la main / Sans vous avoir jamais vu // Il y a un bouvreuil triste / Regarde son oeil blafard / Il y a les horizons d’accueil // Il y a des bras moussus / A détacher attentivement / A enrouler autour du cul / Dans les forêts bleues / Une fille en douleur crie / Secourez-la mon Dieu // Il y a la maison qui tourbillonne / Dans les eaux macarons (…) Il y a les mains de schiste / De mes Ardennes émerveillées // Et le délire de mes années / A pleine bouche enchaînées. (p.14)

Voilà. Un seul point, tout à la fin. Respirez une bonne fois. Le langage est vert, comme il se doit. Puristes en tout genre s’abstenir. Mais avec un coin de nostalgie, tout de même. Je donnerais beaucoup pour l’avoir découvert, moi, ce bouvreuil-là. Mais le Bon Dieu n’est pas gêné d’être là.

Et ainsi, tout au long du recueil, cela va chantonner, muser, entonner, avec de l’amour, et du plus cru, de la tendresse, et tout, et tout,  et c’est comme un grand fleuve qui vous entraîne…Mais l’enfance est toujours là, derrière, avec son sourire parfois un peu triste, et sa nostalgie: Galop rouge échos des canyons / Adieu / J’ai voulu être sérieux / Un instant / Comme les Grands.(p.18) Et, dans L’enfant bleue, p.19: Qu’es-tu devenue / Jamais tes paupières / Jamais ta voix // Pour nous faire rire /Tu ne bougeais pas // Tu poursuivais / Tu marches aujourd’hui /Que je n’aperçois / A peine // A peine/ Que tu t’en allais. Et je voudrais pouvoir tout citer…

Un vrai dur ou un faux tendre? Ou l’inverse…Les larmes, chez lui, sont près du rire. Que d’émotion, encore, dans Visage de ma mère, p.22: Que me disiez-vous alors perdue dans ce dernier rêve / Sous les baxters énigmatiques dans la lumière / Assombrie de la chambre esseulée //          Le feutre est silence / Les murs blancs identité.

Et dans Trilogie, p.32, l’identité wallonne célébrée: Laudes Mon père est de Braine / Ma mère est de Liège / Et je suis d’Ardenne / Dans la trinité / Polyphonie wallonne

L’amour, bien sûr, l’amour physique aussi, y tient la part du lion, comme à la page 109: Ta chevelure est la torche à laquelle j’allume mes allumettes mortes, tes yeux le cognac de mes flemmes, ton visage mon idée fixe, ton souvenir une orange rangée sur l’étagère de l’avenir, ton nom un ganglion dans ma gorge, ton corps une plaie sous la sangle, tu m’environnes, tu me peuples, tu es ma barque, ma barche, le briquet, le calumet de mon angine blanche, le Colorado de mes grisailles, je t’appelle comme un fou au soleil indien de ma renaissance.

Que vous dire encore? Vous aurez remarqué au passage comment il joue à plaisir de rythmes longs, de rythmes courts, au fil des émotions. L’emploi, souvent, de termes durs, de termes drus. Ses colères foudroyantes. L’emploi aussi, fréquemment, de termes wallons, liégeois surtout, saveur inoubliable du terroir. Oui, c’est cela, Guy Denis: un ome tout-oute, qui peut dire à ses fils: Je voudrais vieillir comme le vin. Toujours plus fort, toujours plus fidèle à la terre qui m’attend, fidèle aux rires de mes fils, pareil au pommier croulant sous ses fruits dorés. (Filii mei, p.80)

Et nous terminerons ainsi en beauté, sur les dernières phrases de ce beau texte: Vous seuls connaissez l’énigme de la vie, vous qu’aucune question ne tarabuste, vous qui mordez à pleines dents dans la tartine du temps. Cela, voyez-vous, vient d’un vrai modeste, devant la vie et la jeunesse, cela valait bien une esperluète.

Les illustrations de Pierre-Alain Gillet sont parfaitement adaptées.

Joseph Bodson