Jamila Abitar, Chemin d’errance, poèmes, éd. Traversées, 60 pp., 25 €
Je ne sais si c’est voulu, mais la couverture, brun clair et brun foncé, brun jaune et brun rouge, est en parfaite harmonie avec la tonalité de ce recueil. La poésie, en effet, y est dans un premier temps abordée sur le ton de l’enthousiasme, avec de belles envolées lyriques, et des trouvailles très précises: Je sais le paysan, qui soigne la terre / et les couleurs vives qui m’ont nourrie. / J’ai embrassé le soleil / et j’ai surpris debout les blés / faisant l’amour, et plus loin, p.9 également, Parle-moi de cette colline lointaine / qui ne dirait pas son nom! et p.10 et 11: Un parfum d’éternité / Sur les lèvres du présent.(…) Etre dans et hors du temps, / dans le visible et l’invisible. Le quotidien et le poétique nous sont donnés ici en conjonction, sans que l’on doive quitter l’un pour aborder l’autre. Simplement, non pas décrire, mais dire choses et gens. Trouver, si vous voulez, leur vrai nom. L’envers et l’endroit, sans qu’il soit besoin d’un long pèlerinage pour passer de l’un à l’autre.
Mais la poésie est aussi célébration, Contribuer au poème nécessite de l’amour, p. 46, et la peine aussi, comme le pain, est à partager: Tu es l’ombre et je suis la nuit, / la plus noire et la plus révoltée. Nous voici bien loin de la pure célébration, d’une poésie statique. La poésie est aussi combat, souvenir et reviviscence des peines. Le trajet, le contraste des couleurs ainsi se dessine, en même temps que la poésie prend sa stature définitive, bien loin d’être un objet fignolé, un aboli bibelot d’inanité sonore. C’est Plotin ici qu’il conviendrait de citer: Ne cesse de sculpter ta propre statue , mais un souci, un travail qui s’engagent dans la communauté des hommes, et non dans le sanctuaire de l’ego. Et c’est dans cette perspective que Jamila Abitar nous révèle enfin la clé de son travail poétique, l’intime fusion de la contemplation et de l’action, l’entrée du temps dans l’éternité, p. 52: Le poème n’est pas l’objet que l’on travaille, / nous sommes l’objet de son travail. / Il s’impose comme une vérité nue / et renverse parfois l’ordre établi. (…) N’oublions pas les morsures du destin. / Elles étaient bien là, les ombres mortes / et maintenant nous les touchons
Une voix très sûre d’elle, mais aussi une voix fraternelle.
Joseph Bodosn.