Jean-Marie Kajdanski, Plukins d’ solèl, Paillettes de soleil MicRomania, 2020, Boulevard Roulier, 1, 6000 Charleroi. 104 pages.

Tout poète digne de ce nom a un style qui lui est propre, inimitable, et qui est comme sa marque de fabrique. A quoi cela tient-il? Non, il n’y a pas de truc, de tour de passe-passe. Le poète n’est pas un magicien qui vous sort à volonté de son chapeau lapins blancs, chatons, ratons laveurs…Cela tient à peu de chose parfois: une façon bien à lui de jouer des couleurs, du bruit du vent, du son de syllabes voisines, de la place des mots dans la phrase. Parfois, on le reconnaît de suite; quelques mesures, et ça y est. Parfois, il y faut une oreille plus attentive. Mais cela ne tient certainement pas à l’observation de certaines règles de métrique, par exemple. Vous pourriez écrire une Iliade ou une Odyssée en vers parfaitement corrects quant à la métrique, si le souffle, l’inspiration, ce je ne sais quoi qui tient presque du génie, en est absent, vous n’aurez, comme le disait Ronsarrd, je crois, qu’un pesant faix entre les mains. Le mètre, c »est pour le musicien, il tient lieu de l’instrument, mais il n’est pas la musique. Et quand elle n’est pas là, les souris dansent…

Tout cela pour vous dire que dans la poésie de Jean-Marie Kajdanski, il y a , et à très forte dose, ce je ne sais quoi, ce presque rien, qui fait de nous presque l’égal des dieux. Il va nous chanter ici le soleil, mais du soleil en paillettes. Eh bien, cela commence sur un mode très léger, insensible pour ainsi dire. L’hiver approche, on le sent déjà entre  les sillons, dans l’arrière-saisons. Et le vent aussi, il est toujours là, même si ce n’est pas la grosse tempête. Ecoutez-le plutôt:

crûte alin.ne du vint / èl tière i funke / Lés ringuions i-atint’tèt // tès piéds d’dins lés labeûrs /èl camp i bérdache // ariéré-séson malalante / ène longue atinte i fét morir

in rinte tout dwat d’dins l’îvêr / séson moyêle / chéveus déouyus // i-inme mieûs lés tiéres à trieu / lés-alots  lés nwârès-épènes / lés rwinches  lés cardons // avé li i fôt s’atinde à tout / i y a nié pîre.

haleine mouillée du vent / la terre fume / les sillons attendent // les pieds dans les labours / le champ piétine // arrière-saison mal en jambe / une longue attente fait mourir

on rentre droit dans l’hiver / saison muette / cheveux en bataille // préfère les friches / les broussailles  les aubépines / les ronces les chardons // avec lui il faut s’attendre à tout / il n’y a pas pire

.Oh! Je ne vais pas vous faire tout un cours de littérature !  Remarquez toutefois l’unité du ton, lisse comme une belle pâte; cette absence des conjonctions qui alourdissent même la prose, remplacées ici par un double blanc parfois, entre les mots, qui éloigne les choses en les rapprochant – silence, présence. Ce paysan qui ne dit rien, mais qui pense, et qui marche, comme on les voit dans un tableau de Bruegel. Et dites-moi si l’automne et l’hiver ne sont pas là en portrait, aux coins du tableau, les pieds mouillés, échevelés, hirsutes, à se plaire dans les trieux et les buissons à épines…Tout cela, voyez-vous, c’est du très grand art.

Et le recueil tient ensemble, fortement lié, à la fois uni et divers, mais juste aux bonnes dimensions, sans rien en lui qui père ou qui pose. Comme un coureur qui suit son propre rythme, selon son haleine…

Je pourrais multiplier cette analyse presque à l’infini. Avec, en prime, toute une philosophie de la vie, ainsi, p.17: léche picher l’ mouton/ piène-piène avé l’ tans / i-y-a d’ pus à pinser qu’à dire (laisse pisser le mouton, / lent feu du temps / il y a plus à penser qu’à dire) Mais les notions abstraites, comme le temps, ne viennent jamais seules, il y a toujours du concret, le dur concret, qui les suit ou les précède: èst-ch’ qu’èt’ sés qu’èl sâbe / i fét l’ li’t dés rieus – sais-tu que le sable / garnit le lit des rivières.

Non, je ne vais pas m’y appesantir, ce ne sont pas des vers qui demandent de lourds commentaires. Ce sera donc à vous de les chercher, et vous verrez, comment à son contact, tout se fait légers, léger…comme les Plukins d’ solèl.

Juste deux vers encore, pour la route, pour vous tenir compagnie: èt rwayôme  / èl passâje dés-osiôs. Faites-en des cailloux de Petit Poucet.

Joseph Bodson