Leïla Zerhouni Femmes empêchées roman, éditions M.E.O (2022, 15 euros, 122 pages).

Dans ce premier roman Leïla Zerhouni fait la part belle à la recherche d’identité, un journal intime imaginant la mère idéalisée tout en appréhendant de mieux la connaître, étant toutefois choyée par une mère adoptante. Sans doute faut-il avoir vécu l’absence parentale pour, enfant, voir le monde d’une façon trop tôt adulte : « Il lui arrivait souvent de regarder les autres s’amuser. Elle enviait l’insouciante légèreté des jeunes de son âge. Pourtant ils ne l’intéressaient guère ».
Délaissée également amoureusement, Ania s’est réfugiée dans la passion des livres avec la bienveillance d’une libraire, Madame Kéra avec cette idée que « la littérature ne sauvera peut-être pas le monde, mais elle nous aide à le supporter », l’auteure citant de précieuses références littéraires très variées entre Giono, Zweig ou Achille Chavée, notre poète surréaliste belge.
La bienveillance cache parfois de lourds secrets qui, certainement, peuvent faire de nous des « êtres empêchés » à plus d’un titre tandis que, dans ce livre, il s’agit plus précisément de femmes.
Le livre rend un rôle essentiel à la gent féminine, pourvoyeuse de vie et de bien des responsabilités.
La rencontre de Yasmine révèlera ainsi à notre héroïne cette notion de « femme empêchée » proposant une des intrigues de ce roman en deux parties, l’auteure développant également un esprit universel de multiculturalité : « Bien que né sur cette terre au soleil de plomb, Saïd Chouki était issu d’un subtil mélange : arrière-petit fils d’une pianiste juive espagnole et petit-fils d’un instituteur français, il avait grandi dans la certitude que le métissage constituait un trésor. Sang arabe, berbère, juif, espagnol et français coulaient dans ses veines et épousaient ses convictions philosophiques ».
La chère Belgique, évoquée à travers le plumage d’un oiseau, fait, elle aussi, partie des destins possibles : « Ce soir-là, Saïd Chouki écouta avec une profonde mélancolie le chant mélodieux de son chardonneret. Le plumage jaune, rouge et noir de cet oiseau lui évoqua le drapeau d’un petit pays. Les dés étaient jetés »
L’intrigue se dévoilant tragique pour Saïd Chouki, l’auteure rappellera cependant, à travers les propos de Stefan Zweig, le sens de l’appartenance et des souvenirs les qualifiant d’« illusion magique ».
Leïla Zerhouni, avec ce premier roman, s’active avec brio dans plusieurs genres littéraires, s’affirmant non seulement en qualité de romancière, mais également en tant que poète ou épistolière quand l’héroïne s’adresse à sa mère :

« J’ai cherché ton regard
Il faisait déjà noir
Nuit féconde
Mère de l’ombre
Si tu ne m’as pas désirée
M’as-tu au moins aimée ? »

Profonde humanité d’une jeune auteure amoureuse sans doute des livres comme son héroïne : « Si sa vue ne lui permettait plus de savourer les livres, elle les toucherait, les humerait… ».
Avec ce dernier extrait tant de choses sont dites !

Patrick Devaux