Lieven Callant, Initiale, poèmes, préface de Xavier Bordes, Traversées,2021.

Plutôt qu’un poème, c’est plutôt d’une somme de poésie que je parlerais volontiers ici.

Une somme, parce que dans ce fort volume de 271 pages, ce sont tous les règnes du monde vivant qui sont ici convoqués, minéraux, végétaux, animaux, les humains y étant bien sûr également conviés. Et ils y tiennent un rôle qui est loin d’être passif, ou de former une sorte de décor.

Ecoutez-la plutôt dans son Intro : A l’intérieur de moi parfois tout s’éteint, les vaisseaux s’égarent, les ruisseaux tournent sur eux-mêmes et combattent les rivières. Il fait froid, il fait noir, c’est vide. Le temps se crispe, l’amour m’oublie. A l’intérieur de moi, il ne reste que l’ombre et sa gueule béante, elle dévore les jours pour en faire des boulettes de papier chiffonné.

Et, un peu plus loin: A l’extérieur de moi, je ne laisse transparaître qu’une lueur bleue dans le gris, que certains aiment confondre avec la beauté. Sur mes lèvres le baiser, sur l’épaule un papillon rêvent de s’envoler vers les cieux en prononçant: « pour toujours ». Sur ma tempe tremblote une veinule, au rythme galopant d’une folle bougie.

Voilà, d’emblée, un beau portrait de Lieven Callant, à la lueur d’une bougie, qui rappelle d’un peu loin celle de Gaston Bachelard. Avec un mouvement qui se répétera plus d’une fois à l’intérieur du recueil: mouvement d’acquiescement et puis de reprise, le oui et le non se répétant presque instantanément. Et j’aime assez les espaces blancs qui çà et là remplacent la ponctuation « de suspension », virgule ou trois points, et modulent ainsi de façon plus personnelle la respiration de l’auteure.

Mais écoutons-la encore, en quelques brefs extraits; c’est pour cela que nous sommes venus en son jardin:

Est-ce toi mon Amour qui portes la lumière de l’astre toute fraîche et argentée sur les épaules? (Fraîche et argentée, p.19). Le titre lui-même, ici, est révélateur, du mélange, ou plutôt de la rapide alternance des sensations, liée bien sûr à celle des règnes)

Monde des contacts brefs, monde des frontières et des lisières( A la lisière, p.24): Ma course est saccadée et mon allure bancale. Je n’ai ni yeux, ni bouche pour parler. Je partage les fonds marins avec les baleines, les poulpes et les puissants courants. Si on me touche, je retourne vers ma coquille. Si on veut me prendre, je cours comme le vent. (…)// Vos livres me laissent froid, vos cris me rendent sourd, mais la larme qui perle dans une note m’ouvre tous les chemins. Points par points, de graines en graines, aussitôt suivie d’un sentiment d’écart, de déréliction presque, de trait en trait, je pends les secondes. J’étire les rêves, je sens, je me sens, devenir peu à peu comme ce tout petit rien qui est à naître; l’arbuste en lisière de forêt qui cherche sa part de lumière.

Il règne dans ce long texte, très complexe en soi, une sorte d’atmosphère du début du monde, du début de la vie, et aussi d’un certain abandon, de déréliction, de par le refus du convenu, la « bande à part », le refus du « qu’en-dira-t-on » pour la belle aventure. Mais, comme l’écrivait Georges Bouillon, l’arbre le plus solitaire n’est jamais seul.

Mais rien là d’une mélancolie romantique…La vie reste une grande aventure, elle se prouve en avançant, en écrivant (Lyre, p.154): L’ombre de l’arbre et moi ne lisons pas le même livre, me dis-je. / Pourtant, je l’entends chuchoter en caressant les signes de la pointe de ses feuilles, elle lit comme si elle était aveugle, du bout des doigts, se sert de la sensibilité tactile des mots, chaque syllabe est un objet, un personnage, un tronçon remarquable du bas-relief qu’elle éclaire à la lumière de son regard. / Il est des signes qui sautent aux yeux et d’autres qui fuient.     

Oui , la vie est une découverte perpétuelle, le mouvement se prouve en errant. C’est ici non seulement une somme de poésie, mais un maître-livre, et s’il fallait lui trouver une parenté, c’est du côté de Thoreau que j’irais la chercher.

Non, bien loin de la mélancolie, la vie, la poésie, ici, sont à inventer. Plus exactement, elles sont en train d’être inventées. Je vous laisse sur un dernier extrait, pour la route, tiré d’Adventice, p.207:  (…) J’attends   je projette des floraisons / j’observe / j’imagine des constructions de feuilles / je me rends apte à comprendre un langage / qui n’est pas encore le mien / puisqu’il n’use d’aucun mot / je rectifie tous mes gestes / dans un souci     de perfection / qui ressemble      au meilleur usage /              de la lumière / au plus judicieux partage      de cette portion d’espace /                               je regarde le présent advenir.

Une somme de poésie, disions-nous. Ou plutôt, un maître-livre. Et maître de soi, tout d’abord, au travers des péripéties. Adventice, c’est-à-dire superflu, sans importance, disent les dictionnaires. Mais c’est précisément l’importance, dont le poids empêche bien souvent les hommes d’avancer, de faire les premiers pas. Et cela, les dictionnaires ne le disent pas. Adventice, comme une belle plante sauvage et libre. Et cela, les dictionnaires ne le disent pas.

Joseph Bodson