Michel Ducobu – L’âme de la main – Ed. Le Coudrier – 40 p – 16 €

L’âme de la main (ou la main de l’âme), source de l’art. La main, qui caractérise l’humain, et l’âme, qui le caractérise aussi, puisqu’il s’est arrogé le monopole de cet attribut et que personne jusqu’à présent ne le lui a contesté. C’est de cette main que surgit l’art, dont l’Homme, incontestablement, a le monopole. Encore. Quoiqu’il ait beaucoup copié la Nature, créatrice d’art spontané.

L’auteur passe en revue les arts qui lui parlent, en une dizaine de poèmes, un par discipline, ponctués par le leitmotive de « l’âme de la main ». Outre les arts évidents, il met à l’honneur des manifestations plus modestes mais combien parlantes, telles la poterie, la calligraphie, l’artisanat, élevant par ailleurs au rang d’art la discipline scientifique qu’est l’astronomie et, plus étonnant, la philosophie. Étonnant, car l’art procède de l’émotion avant toute élaboration technique ou intellectuelle. L’Homme tente ici de voir au-delà de lui, par la Science (concrète) ou la Pensée (abstraite) … pimentées de poésie, pour le plaisir de l’art.

On commence par la Musique, l’émotion à l’état pur, la Danse, mouvement naturel généré par la musique, la Peinture, formes et couleurs du monde. La Poésie ensuite, exaltation du langage, l’Architecture et la Poterie, où l’art sublime la matière domptée par la main de l’homme. La Calligraphie, recherche épurée de beauté, de méditation dans la perfection de la ligne. La Sculpture, représentation du réel, ou de l’imaginaire. Et pour finir, de l’Artisanat, où l’art se fait humble et quotidien, on passe à l’Astronomie, ouvrant sur de vertigineux infinis, et on finit par déboucher sur la Philosophie souveraine. D’où l’éternelle question : qu’est-ce que l’art, au fait ? Quelle est sa nature, quelle est sa fonction ?

La longue préface de Myriam Watthee-Delmotte nous donne une belle entrée en matière. Mais mieux vaut sans doute ressentir et goûter quelques vers au hasard. Comment expliquer en effet l’expression courante,« l’âme du violon » ? L’âme de la main a-t-elle imprégné le bois de l’érable lors de la fabrication ? Est-ce la musique qui a glissé dans l’instrument l’âme du compositeur, de l’interprète, voire de l’auditeur? Et pourquoi pas l’âme de l’arbre sacrifié pour que vive le violon ?

L’âme de la main / l’oreille sur l’écorce écoute / chanter l’archet de l’arbre

L’âme de la main / et celle du vieux violoncelle / s’accordent à l’ombre de leurs cordes

Savoir que l’âme de la main / ensemence à notre insu / le silence du mot de sons sensés

Tu achèves ton château de sable / d’un geste de grandeur éphémère / l’âme de ta main te montre la mer

L’âme de la main / lustre la brute sueur / du laboureur de bronze

Des mots simples, quotidiens, en petits bouquets, un beau travail de recherche sonore, rien de bien sorcier. Et pourtant, on n’entre pas de plain-pied dans ce recueil. Il faut effectuer un travail de dépouillement, se défaire de l’évidence des mots, ôter leur écorce et se laisser porter plus loin. Détourner les mots de leur chemin routinier pour s’enfoncer lentement dans un sous-bois d’impressions, où chacun s’aventure avec son propre émoi. Son âme propre, en somme.

Ne quittons pas l’ouvrage sans noter la curieuse illustration de couverture (de Costa Lefkochir), une main à trois doigts surplombant une matière incandescente, en étroite communion avec elle. Tout en ombre et lumière – imprimant son âme à la chose en devenir ?

Mais n’oublions pas surtout que, plus que la main, ce sont les doigts qui font l’Homme et qui font l’Art. Car une main sans doigts pourrait avoir toute l’âme qu’elle veut, elle ne pourrait guère que … taper du poing. Merci, Nature, de nous avoir donné des doigts.

Isabelle Fable