Nathalie Boutiau, Tout le monde sait, roman, éditions  Academia-L’Harmattan, 2019.

Un roman? Un récit de vie? Un récit de voyage? Un peu de tout cela, mais un voyage qui fut loin d’être un voyage d’agrément.Dans ses remerciements, Nathalie Boutiau note que le titre en est inspiré de la chanson de Leonard Cohen, Everybody knows. Et de fait, c’est un voyage-souvenir, sur les traces de tout ce qui a été, et qui n’aurait jamais dû être. Et qui, toujours, est près de recommencer, si nous n’y prenons garde.

Les deux héros, Duni, réfugié tchètchéne, et Laurence, une jeune Liégeoise, ont reçu un viatique d’Amnesty International et de Reporters sans frontières, pour se rendre sur les divers lieux, dans le monde, où se sont perpétrés des génocides, au cours du siècle écoulé.Ils partiront du Mémorial de Caen, évoquant la bataille de Normandie, pour aller vers les camps de Pologne, la Tchètchénie, le Kosovo, la Jordanie, le Congo, Kasaï et Kivu. Partout la même désolation, les mêmes atrocités, à croire que l’espèce humaine est définitivement incorrigible. Et c’est l’impression qui restera prégnante, même si le livre se termine par une idylle entre les deux jeunes gens, clamant leur espérance en la vie.

Nathalie Boutiau pratique une écriture brève, incisive, qui se marque fortement en la mémoire du lecteur.. Dès les premières lignes, vous vous sentez pris, concerné, par quelque chose de fort et d’urgent, à quoi vous ne pouvez rester étranger:

Il n’y a plus de couleurs. Juste du gris et le bleu du ciel par temps clair. La guerre absorbe tout. Le bien comme le mal, la vie et la mort.;

Elle nous donne, p. 27, les grandes lignes du projet: Tous les deux s’étaient mis d’accord sur l’itinéraire à suivre et les pays à traverser. Le voyage s’articulerait autour de deux pôles: l’espace – forcément – et le temps.Trois chapitres seraient développés. Les deux guerres mondiales constitueraient le premier. Les traces à rechercher seraient ici collectives (mémoriaux, cimetières, monuments aux morts…). La deuxième partie du projet développerait davantage les traces matérielles, physiques et psychologiques encore perceptibles actuellement.. Leur champ d’action pour cette partie de leur travail serait les guerres et les conflits armés ayant eu lieu (ou encore en cours) pendant la période qui couvre le début des années 1990 jusqu’à nos jours. La troisième partie s’intéresserait davantage aux pratiques bien établies d’atteintes aux droits humains tels que le racisme, toute forme de violence, la maltraitance faite aux enfants ou encore la torture ainsi que le harcèlement physique et moral. Et le lecteur ne peut qu’être accablé, en arrivant à bout de course, par l’énormité, l’incommensurable démesure de ces forces de destruction.

Mais, à côté de cela, il reste tous ces gens rencontrés en cours de route. Tous ces gens qui ont souffert das leur chair, dans leur esprit, et qui se racontent. Qui tentent de se reconstruire, eux-mêmes ainsi que leur maison, pièce à pièce, et brique à brique. Il reste la chaleur des relations humaines – quel beau mot, trop galvaudé hélas. Il reste la poésie, et la tendresse, telles qu’elles s’expriment p. 117 par exemple:

On ne peut rien pour toi, Maryam, sinon t’aimer et t’aimer encore. Que serais-tu devenue sans cette guerre? Une artiste, une infirmière ou encore une institutrice? Aurais-tu eu des enfants?

Si tu savais comme le monde est beau, Maryam. J’aurais voulu te connaître, partager avec toi nos jeu d’enfance. J’aurais aimé savoir si tu aimais les fleurs, si ta couleur préférée était le bleu. Aurais-tu choisi de rester à la campagne ou te serais-tu installée en ville? Je sais quelle belle femme tu aurais été. Les petites filles comme toi gardent toujours en elles cette grâce légère qui sourit à la vie.Elles grandissent, mais elles restent princesses.

Oui, la vie est bien, au fil des pages et des rencontres, comme un tissu chamarré, formé de brins de laine de couleurs différentes et entrecroisées. Oui, c’est bien sur les champs de ruine que fleurit la petite fleur de l’espérance. Et par bonheur, il reste ces jeunes, qui se sont levés et qui marchent, qui n’arrêtent pas de marcher, si sombre que soit l’avenir.

Joseph Bodson