Nicole Malinconi, Un soir en cuisine, Noville-sur-Mehaigne, Esperluète, 2020, 40 p. (12€)

Derrière la salle aux convives, des coulisses diligentes

Lorsqu’on se rend au restaurant pour déguster un repas qu’on ne doit pas préparer, la fête se passe entre les convives attablés. Attentifs à leurs dégustations, ceux-ci n’ont que faire de ce qui se trame en cuisine. Nicole Malinconi, qui affectionne l’humain, s’est penchée sur l’invisible spectacle qui se déroule en coulisses avant l’entrée en scène dans la salle où manger.

Une phrase panoramique introduit l’atmosphère juste avant le démarrage des activités destinées au public. À la place des clients encore en chemin, quelques responsables font le point. Les autres, derrière le mur, resteront invisibles. Ils se placent là où ils seront utiles, à travers une nouvelle phrase panoramique qui balaie de ses mots ustensiles et instruments.

Des paragraphes en incises rappellent la parole du chef, une brève évocation du parcours qui le mena là. Apparaissent de la sorte des petits inventaires d’actes qui ont construit sa stature régalienne à travers des expériences accumulées jusqu’à l’étoile accordée par un guide baptiseur de renommée. Avec, mélangé au biographique, le sens profond d’une vocation.

Le signal de départ va retentir. Juste le temps pour notre auteure de prendre quelques instantanés de la préparation commencée dès la matin : fonds blanc et brun, foin pour croûte, sauce meurette, mie à toaster, légumes tranchés ou rissolés ou râpés, condiments combinés, crèmes et sorbets, mignardises et desserts agencés… Tout cela dans un déluge de verbes d’actions. Tout cela dont le client ne saura rien.

La suite se compose d’encore davantage d’actes associés aux matières, aux textures, aux apparences architecturées. Le travail est d’équipe. Il est rythmé par le son vocal qui énonce les commandes dont l’écho sera repris et mis aussi en forme lorsque le maître d’hôtel narrera les vocables couronnant la recette réussie ainsi qu’inscrite dans le menu.

Malinconi s’attarde un peu sur la géographie en gestation au creux des assiettes. Elle repart en brassant du regard et de l’oreille l’effervescence qui a grandi, l’escouade qui œuvre collective. Ce qui était derrière passe du côté des dégustateurs, des gourmands, des gourmets. Tandis qu’en deçà se jouent d’autres épisodes, la vaisselle revenue sale, les déchets à rejeter, les instruments à briquer pour le lendemain. Le plongeur gère ses priorités.

Alors s’installe, petit à petit, l’accalmie. Le chef s’éclipse pour saluer ses invités. Il reviendra. Dira quelques mots, aura quelques échanges cordiaux. C’est fini. Demain réinventera les mêmes épisodes. Le restaurant peut fermer. Malinconi nous a emmenés là où nous pouvons désormais comprendre combien ce que nous dégustons est le résultat d’un fabuleux travail communautaire composé de tant et tant de modestes gestes juxtaposés, entremêlés, interconnectés.

Michel Voiturier

(21.01.2021)

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