OLIVIER GOURMET

Passer de l’ordinaire à l’extraordinaire !

                                                                                                               

                                                                                                                                    Propos recueillis par Noëlle Lans.

 

Après avoir suivi l’enseignement du Conservatoire de Liège, puis celui du Cours Florent à Paris, Olivier Gourmet rentre en Belgique et commence une carrière théâtrale, principalement au Théâtre de la Place à Liège (actuel Théâtre de Liège), mais aussi à Bruxelles, à la Balsamine ou au Varia. Cette carrière va se raréfier au fil du temps au profit du 7ème Art.

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Olivier Gourmet, sans doute seriez-vous davantage sur scène si La Promesse de Jean-Pierre et Luc Dardenne n’avait lancé votre carrière cinématographique, de façon fulgurante, en 1996 ? Avez-vous encore des demandes côté théâtre ?

Effectivement, sans La Promesse, je serais sans doute toujours sur les planches et j’ai toujours des demandes.         Un jour peut-être …

Au théâtre, comédiens et public partagent l’instant présent et s’entendent presque respirer mutuellement. Cela vous manque-t-il ou préférez-vous, au contraire, la seule présence de l’équipe cinématographique pour vous exprimer ?

Le cinéma me permet de sortir des quatre murs et de rencontrer les gens « dans leur condition ».

À propos de théâtre, y a-t-il des comédiens belges que vous appréciez particulièrement ?

Je ne me rends plus guère au théâtre et suis totalement en dehors du milieu depuis de nombreuses années. Je ne connais que les acteurs qui étaient déjà en place il y a une vingtaine d’années : Philippe Jeunette, Alexandre Trocki, Philippe Grand’henry, Janine Godinas, Pietro Pizzuti, Alexandre Von Sivers, Luc Van Grunderbeek, François Sikivie…

En tant qu’acteur de cinéma, quelle est votre perception lorsque le tournage se fait «caméra à l’épaule», comme avec les Frères Dardenne ?

Il y a plus de rythme et de dynamique, la caméra devient partenaire, elle permet d’être davantage avec les corps …

La Promesse en 1996, Rosetta en 1999, Le Fils en 2002 – où vous décrochez le prestigieux prix d’interprétation masculine au Festival de Cannes -, Le silence de Lorna en 2008, Le Gamin au vélo en 2011, Deux jours, une nuit en 2014, autant de réalisations des Frères Dardenne dans lesquelles vous figurez. Vous semblez être leur acteur fétiche ! A moins que ce ne soit le contraire ? Comment expliquer cette collaboration hors du commun ?

Une amitié, la fidélité des Frères Dardenne, leur reconnaissance, nos  affinités …

Le dernier film réalisé par les Dardenne, La Fille inconnue, vient de sortir sur nos écrans. Pouvez-vous nous en dire quelques mots? L’ambiance du tournage ? Le rôle que vous incarnez ?

Je n’avais que deux jours de tournage. L’ambiance était joyeuse et détendue tout en restant rigoureuse… Mon personnage est secondaire, un suspect possible dans la disparition de la jeune fille, un vendeur véreux de voitures et de caravanes d’occasion.

Vous avez également joué dans deux longs métrages de la cinéaste belge Marion Hänsel, La Tendresse en 2013 et, cette année (2016), En amont du fleuve. Quelle impression gardez-vous de ces tournages ?

Un film avec Marion, c’est des vacances ! Elle fait peu de prises, elle aime ce qui est d’instinct, direct, frais … Elle sait ce qu’elle veut et elle le rencontre souvent dans les premières prises. Elle est profondément humaine et a du respect et de l’attention pour chacun dans l’équipe. C’est aussi quelqu’un de fidèle, elle travaille depuis le début avec les mêmes personnes, ce qui crée une ambiance sereine et familiale.

Toujours en Belgique, vous avez incarné, en 2004, le rôle d’un policier très typé dans Quand la mer monte, de Yolande Moreau et Gilles Porte. Yolande Moreau ! Un monstre sacré… et un être humain extraordinaire, ce qui ne va pas nécessairement de pair. Comment percevez-vous cette comédienne ?

C’est une personne « normale », ce qui est rare dans le métier. Elle est généreuse et a la joie communicative. Elle aime la vie et ne se prend jamais au sérieux.

Comme Yolande Moreau, vous parvenez à concilier « l’être et le paraître » en privilégiant la simplicité et le contact « vrai » entre les humains. Est-ce un trait de famille ?

Ce sont des valeurs que nous revendiquons.

Quand vous incarnez un personnage, vous détectez ce qu’il y a d’extraordinaire en lui, afin de l’offrir aux spectateurs. Comment passe-t-on de «l’ordinaire» à  «l’extraordinaire» ?

Pour se faire, il faut un scénario qui aille dans le même sens. De l’infime ordinaire, on peut faire quelque chose de fort et d’universel, mais il faut que l’écriture aille dans ce sens également, et que le réalisateur ait cette sensibilité. Il faut vivre dans le monde, avec les gens ordinaires, être touché, sensible à ce qu’ils sont, les aimer … Sur le plateau, il s’agit ensuite d’être simple, d’être dans leur corps et dans leur âme, comprendre leurs mouvements et ce qui les anime.

À raison de plusieurs films par an, sans périodes sabbatiques semble-t-il, vous figurez aux génériques d’innombrables films de réalisateurs belges, aussi bien que français (Patrice Chéreau, Jacques Audiart, Bertrand Tavernier … et tant d’autres !), ou encore étrangers (on pense à Costa-Gavras). Considérez-vous le cinéma belge comme étant « à part » et, si oui, quels sont les ingrédients qui permettent de le différencier ?

Il est à part car terriblement singulier, et non consensuel, ce qui fait notre richesse, nous n’avons pas encore été rattrapés par l’industrie du cinéma, mais attention…     

Farouchement vous-même, vous échappez aux tiroirs et aux étiquettes, refusant d’être enfermé dans un style trop précis. Si vous êtes connu pour vos interprétations de films d’auteurs – cinéma politique, engagé, réaliste, policier – vous figurez aussi dans des castings de films « grand public » comme Mesrine de Jean François Richet ou encore Rien à déclarer de Dany Boon. Quels sont les critères qui vous font accepter un rôle ?

 Le plaisir, les personnages ordinaires, les rencontres et parfois l’envie de retrouver certains comédiens, comme dans Rien à déclarer.

En 2008, vous partagiez l’affiche du film Home d’Ursula Meier avec Isabelle Huppert, monstre sacré du cinéma français. Quel souvenir gardez-vous de cette expérience ?

C’était un premier film pour Ursula Meier et ce n’était pas toujours facile, mais accompagner un jeune réalisateur est toujours enrichissant, surtout quand le scénario est intéressant.

Comment percevez-vous votre métier de comédien ? Pourriez-vous encore vous en passer ?

Je pense que le cinéma, outre le divertissement qu’il procure, est un lieu de résistance, de formation, qui permet d’élever la sensibilité, l’âme… Cela me manquerait car découvrir de nouveaux horizons, de nouveaux réalisateurs, partenaires et belles histoires est excitant…

Est-il facile de rester soi-même en incarnant autant de personnages différents au cours d’une vie ? Y a-t-il parfois risque de perdre son identité ou d’avoir envie d’en changer ?

 Ce n’est pas difficile pour moi, c’est un jeu…

 Si vous ne deviez retenir qu’un seul rôle parmi les innombrables déjà interprétés, quel serait-il ? Et pourquoi celui-là ?

Le rôle de L’Exercice de l’État est le plus riche, le plus complet que l’on m’ait proposé.

Êtes-vous sensible à la critique, aux critiques, en général, ou à certaines critiques en particulier ?

Quand la critique s’attaque aux personnes gratuitement, cela me fait mal, sinon,  même si elle est aisée, elle est nécessaire et peut permettre de se remettre en question, d’évoluer…

Bertrand Tavernier n’a-t-il pas été le premier cinéaste à exploiter votre veine comique dans Laissez-passer, où vous teniez le rôle de Roger Richebé ? Est-ce un souvenir jubilatoire ?

Absolument ! On ne me propose pas assez ce genre de composition.

Cet art de faire rire remonte-t-il à votre enfance ? Appréciez-vous toutes les formes de l’humour ?

Oui, je voulais être clown, mais certaines formes d’humour m’agacent.

Vous avez grandi à Mirwart, un charmant village situé près de Saint-Hubert, en Province de Luxembourg, dans un hôtel exploité par votre famille depuis plusieurs générations et dont vous avez repris la gestion avec votre épouse. Le choix de maintenir l’aspect « chambres d’hôtes » du lieu est-il source d’équilibre dans votre vie ? Vous permet-il de rester en contact avec les gens ou de bénéficier d’un certain « anonymat » ? 

Rester dans une vie « normale » est ressourçant et essentiel pour moi.

Vous ne détestez pas travailler de vos mains, paraît-il, et participez à maintes tâches attachées au domaine … côté cuisine, côté jardin …

Les deux, mais aussi côté menuiserie, maçonnerie, électricité…

Vos enfants Louis et Juliette vont-ils suivre les traces de leur père ou ont-ils d’autres aptitudes ?

Ils vont suivre d’autres chemins.

Parlez-vous le patois de votre région ?

Oui.

Quelle est votre perception de la résurgence des langues régionales ?

Tant que cela ne devient pas du nationalisme, c’est une richesse…

Un film en patois serait-il envisageable dans votre carrière ?

Parfaitement.

Si vous pouviez réaliser un vœu pour vous-même, quel serait-il ?

Avoir la santé.

Un vœu pour l’humanité ?

Le respect universel.