Philippe Cantraine, Dames, fous et cavaliers, récits et nouvelles, l’Harmattan Sénégal, 2022.

Les amateurs (ou amoureux) du bien parler et du bon français vont être gâtés…Philippe Cantraine a en effet conservé, chose rare de nos jours, le sens, devenu don à la longue, du style, et, pour un peu, on pourrait croire que ces récits sortent de la plume de l’un de ces écrivains du grand siècle (c’est le dix-huitième que je veux dire). Pour un peu, on pourrait parler de fables, car ils sont couronnés, ou ceints, d’une conclusion morale – ou immorale  – qui se dégage presque d’elles-mêmes. On pourrait dire de lui, comme de je ne sais plus quel auteur latin: castigat ridendo mores. C’est vous dire que l’on ne s’ennuie guère, dans son livre.

Mais c’est aussi un visuel, ce qu’il observe, de la fenêtre de son appartement, témoigne d’une remarquable acuité visuelle, et l’imagination vient s’y greffer aisément: Partout, une belle teinte rousse aux reflets mats réfléchit, dans un grand miroir, l’univers particulier du bois des meubles anciens. Un jour, un bel ordinateur éclairant un visage s’ouvrit sur un grand meuble qui n’en était pas un et les surfaces apparurent dans leur profondeur. (…) Elle reviendra encore, mais seulement lorsque l’exercice de violon sera conclu, l’oeil sur le rectangle nu de la fenêtre et sa poignée retournée du poignet, l’air soudain qui entre, le jardin dont la vue charme et réjouit, et tous les indicateurs au vert d’un état de paix assuré. Tout ici est dans la suggestion, furtive, fugitive, mais qui peut, en un tour de main, se muer en romance, en sérénade, ou en duo amoureux. Le rêve à portée de l’oeil…Il y entre bien sûr un zeste de magie, et la complicité du lecteur.

Bien sûr, je ne vais pas vous résumer toutes ces nouvelles, tous ces contes, Je vais simplement, moi aussi, vous donner à rêver, en vous citant leurs titres …de noblesse: Une inclination  inactuelle, Elodie Vorovski, Un geste manqué, La valse de l’Empereur,, Etre d’hier ou de demain, Les contrevenants, La folie de Monsieur de Finance,, Le gentil praticien de Damas, De part et d’autre du fleuve… Comme vous le pressentez, tout ici se trouve dans un espace/temps juste à la limite, dans ce flou qui entrebâille la porte du rêve. Ainsi que cela se passe chez Gérard de Nerval, en cours de route, que vous soyez à pied, à cheval ou en voiture, peu à peu, le passé, comme un brouillard  mordoré, s’insinue, se glisse, vous enveloppe la tête d’une sorte de halo, et vous passez, comme en fraude, la frontière qui sépare le présent du passé, la réalité du rêve.

Une conclusion? Celle de monsieur de Finance sera aussi celle de ce compte-rendu: Entre-temps, les nations de l’Europe s’étaient soulevées. Les paysages, tournés vers la succession des guerres qui s’y étaient déroulées, s’étaient plissés des ourlets d’une flore insurgée et sauvage, si bien que le jardin planté en d’autres temps par de Finance ne trouvait plus nulle part où s’adresser. Ah! Vous rêviez! Si dans les détours de votre rêve, vous retrouvez le jardin de M. de Finance, n’hésitez pas à prévenir Philippe Cantraine. Il est sur notre site, et ce n’est pas un visiteur virtuel. Plutôt virtuose.

Joseph Bodson