Pierre Boulengier, L’entresol et autres contes insolites, Vérone éditions, 2022, 228 p., 19 €.

Etrange livre, en vérité, que celui-ci: dune longue nouvelles fantastique, lsuivie de nombreux aphorismes, beaucoup excellents, d’autres – c’est un peu la loi du genre et du nombre,parfois  moins réussis.

En tête de la première nouvelle, L’entresol, une citation tirée de Boris Cyrulnik: Nous sommes les pantins de nos récits. Une citation qui va loin et qui définit fort bien le thème de celui-ci. Le monde à l’envers, comme bien souvent chez Borges,. C’est le récit qui tire les ficelles, ou le personnage/auteur, si vous préférez,  qui est manipulé. Il y a là une sorte de mystère, si l’on veut, celui de la mise au jour, de la création. Voici, à la page 14: Soudain, j’ai senti passer un souffle dans l’image. Fluidité, en toi est la vie! Le vivant est sorti des flots. Pour animer ce qui est inerte, il faut retourner à l’élément liquide. Il faut que ruisselle la lumière sur le front comme l’eau sur un galet de torrent. Il faut que l’écume des cheveux inonde la nuque. Il faut que l’oeil s’humecte de larmes pour que brille le regard. Il faut des lèvres humides pour faire éclore un sourire. Il faut que coule, invisible, sous la texture de la peau, un sang imaginaire. Enfin, cette figure palpitante de sève doit baigner dans une atmosphère de tendresse qui exclut toute mièvrerie. // Peinture, ô tromperie sublime, ô gageure insensée! Comme chez Héraclite, c’est  l’élément liquide qui est ici à l’origine du vivant, et le style de l’auteur lui-même, par son rythme, par ses images, a quelque chose de labile.

Et puis, comme chez Poe, comme chez Nerval, l’attention – la prédilection, l’amour, si vous préférez, et mieux encore le rêve du personnage se focalise sur un être unique, dont on ne sait trop s’il est rêve ou réalité. On notera, ici aussi, la belle tenue du style de l’auteur, qui sait, par ses prolongations, ses lenteurs, nous plonger dans l’atmosphère voulue (p.16): Les Parques ont bien voulu mêler plus étroitement nos destinées. Car c’est elle qui sur moi se penchait pour renouveler mes pansements. // Je suis rétabli à présent. Je suis retourné en ville où j’ai pris une chambre dans un quartier tranquille. Elle habite la maison d’en face. Je peux maintenant la regarder tout à loisir et terminer mon oeuvre.

Je ne vous en dirai pas plus, vous laissant sous le charme…Il est ainsi des récits fantastiques, où l’on entre de suite, de plain-pied, et c’est un grand art que celui des incipit. Même si nous entrons dans le jeu en admettant que c’est le récit qui crée l’auteur…

La seconde grande nouvelle, L’addition, s’il vous plaît, est divisée en plusieurs…Pitres. Oui, vous avez bien lu. Le ton est d’emblée donné. Nous sommes en pleine dérision. Et l’auteur va donner libre cours, ici, à son goût des jeux de mots, contrepèteries, et autres coquecigrues. Mi-figue mi-raisin. Quand donc parle-t-il sérieusement, et quand se lâche-t-il? Pas toujours très clair, bien souvent, il nous mène en bateau, le traître. Ainsi, p.109: Cette fin de millénaire a du bon, tout de même, et moi je l’aime bien, cette société permissionnaire et laxative. Enfin, n’exagérons rien,, je ne voudrais pas paraître provocateur. Et vient ensuite une évocation quelque peu attendrie des BD de son – de notre – enfance, Bob Morane en tête, et Buck Danny.. Mais ils seront bien vite rejoints, sur la ligne d’arrivée par Nathalie Sarraute et Robbe-Grillet.

Dois-je vous confier que Pierre Boulengier est né en 1940 à Anderlecht, qu’il a enseigné dans une école défavorisée de Bruxelles,. Il vit à présent à Malmedy, et est l’auteur de recueils de poèmes dont les titres à eux seuls sont des programmes: L’âme à table, Les chemins de Nulle Part, et Comme un passant. Pas étonnant que l’on s’y perde un peu, dans son univers...

 

Joseph Bodson