Roland Thibeau, La nuit de Noëlle, monologue, 2021, 60 p, 9 €

Roland Thibeau est de ces auteurs – rares, contrairement aux apparences – qui ont gardé cette capacité d’aimer les gens, et de s’indigner quand il le faut. Ses héros en sont de remarquable paradigmes, et n’en sont que plus attachants. Non, il n’y a pas que le COVID, la pollution, les discriminations, raciales ou sexuelles. Il y a aussi tous ces êtres humains, et ils sont très nombreux, que nous croisons sans cesse, au hasard de nos gares et de nos rues, et qui parfois, par leur misère, leur déshérence, nous forcent à détourner les yeux.

Noëlle est de ceux-là, et tout au long de ce monologue, elle va faire le point, avec humour et férocité. Le point de nulle part, où elle nous apparaît souffrante, désespérée, et désespérément consciente. Ecoutez-la donc:

Je suis né le cul bordé de nouilles, / dans une grande maison où il y avait une bonne et un jardinier./ La bonne était grosse, douce et placide comme un boeuf. / Elle s’appelait Anne. / On disait « bonjour l’Anne », /  Le jardinier était gentil mais bête comme un âne. / Il s’appelait monsieur Leboeuf.

(Il faut dire qu’elle se prend pour le petit Jésus, mais un petit jésus dégenré).

La routine! /Cette terrible routine de la vie. / Celle qui fait qu’un jour / on vous demande de choisir. /      – Qu’est-ce que tu vas faire plus tard, ma chérie? / M’a dit Leboeuf/ On regardait la télé. / Il y avait là une fille qui disait:/ « Je ne t’ai point aimé, cruel? Qu’ai-je donc fait? » /J’ai dédaigné pour toi les voeux de tous nos princes, / Je t’ai cherché moi-même au fond de tes provinces. » / C’est ça que je veux faire!

Oui, combien sont-ils, ces désespérés, assis dans nos gares, à regarder les guichets, comme si c’était des boîtes à routine? Ou des boîtes à tartines?

Je suis partie pleurer seule dans un parc. / Tristesse des arbres d’automne que le vent déshabille…/ Sur le banc, il y avait un clodo, il m’a tendu son litron crasseux. / Mon seul et premier échec fut définitif.

Du folklore, les clodos? Ouvrez donc les yeux. Essuyez votre rétroviseur. Quand il n’y a rien pour se réchauffer, / on se pelotonne, on se racrapote, / on cherche à conserver sa petite chaleur / qui subsiste au fond de vous. Et plus loin, p.17: L’info se décline entre les pubs et les bêtises. / De notre envoyé spécial à la baraque « friture »./ Feel good! Et plus loin encore, p.25: Grand marché mondial où ce qui est irremplaçable est juge déplacé! / Marchandisation de l’homme, de son temps…à ses organes., et p.33: Une ancienne épidémie est revenue / de la nuit des temps, / elle menace en premier lieu les sans-abris! 

Oui, quand viendra-t-il le temps où l’on nous montrera, avec nos masques, pareils à ces médecins au long bec des temps de peste. Périmés. Et en guise de voeux pour l’an neuf, peut-être, ce cri du début et de la fin des temps, Tant crie l’on Noël qu’il vient! Et fassent le ciel, le vent et les nuages, qu’il vienne un jour encore.

Joseph Bodson