Colette Lamarche,  Typiquement bruxellois,  Editions Sutton, Tours, 2019.

Typiquement bruxellois, l’album conçu par l’ancienne directrice du musée Wellington, à Waterloo, et guide touristique et culturelle indépendante, car il nous conduit à travers la capitale telle qu’elle apparaissait entre les années 30 et 50, grâce à une série de photos et de cartes postales d’un très grand intérêt. Et l’on y retrouve, avec un plaisir intense, la beauté, le charme, l’originalité de nos quartiers, immeubles, métiers, coutumes et autres particularités uniques de notre bonne Ville de Bruxelles. Jugez-en : Le Mont des Arts, dessiné par le paysagiste Vacherot et financé par Léopold II, rasé aujourd’hui ; la Maison du Peuple, imaginée par Horta, et démontée complètement en 1965, remplacée par un building formidablement banal et encombrant ; la place Rogier et ses magnifiques hôtels de prestige, broyés par le gigantisme géométrique du quartier Nord, pâle copie de l’ inimitable Manhattan ; la place de la Monnaie, perdue au bord d’un forum sans âme mais non sans remue-ménage commercial, face à l’arrogance d’un  vorace Centre d’affaires qui a avalé l’ancienne Grand-Poste ; la rue Neuve, la rue veuve plutôt qui a vu s’envoler en fumée l’Innovation, ses cinémas populaires, ses marchands ambulants et ses ouvertures attrayantes sur les grands boulevards voués aujourd’hui aux travaux d’Hercule et au trafic désordonné de piétons qui n’en demandaient pas tant ;   nos belles grandes avenues royales de jadis, imaginées par notre souverain bâtisseur, rabotées, trouées, creusées, envahies par des milliers de naveteurs qui cherchent à retrouver l’air de la campagne, loin de la friture chimique permanente qui pollue  et assourdit le centre ;   le Marché aux Poissons, sans poissons mais non sans voitures et camions anguilles qui tentent vainement de le contourner pour échapper aux pièges de la malheureuse place De Brouckère ; le quartier du Parc Léopold, de l’ancien monastère, des belles demeures aristocratiques l’entourant fièrement, le long de la rue de la Loi, de la rue Belliard, de la rue Froissart,  sacrifiées et passées sans ménagement sous la domination européenne… Vraiment typiquement bruxellois, ce saccage permanent, ce mélange hétéroclite de styles, cette montagne de briques indigestes dans le ventre !  Il reste les images, les usages, quelques attelages, les processions costumées, les fêtes folkloriques et ces quelques rues magiques autour du Marché aux Puces, où les vieux Bruxellois et les touristes bien informés viennent encore chercher  le typiquement bruxellois, qui n’est pas démodé, qui n’est pas passéiste ni ringard mais qui est resté simplement fidèle à un esprit, un genre populaire particulier, une manière de vivre en ville à hauteur d’homme et non de béton armé. Pauvre B., maugréait le triste Baudelaire, à la fin du XIXè siècle, en déambulant dans nos ruelles ingrates et malodorantes. Pour de tout autres raisons que les siennes, nous sommes devenus, nous aussi, infiniment mélancoliques et nostalgiques en défilant devant nos théâtres effacés, nos boutiques aux vitrines éclatées, sur nos pavés déracinés et notre bitume éventré… Par bonheur, il demeure encore des guides astucieux qui savent où se faufiler entre les gravats et les graffiti et nous offrir quelques échappées belles…  Et sans oublier un peu de zwanze, chez Toone, pour que ce soit tof et que l’on ait l’envie d’y revenir, là et dans d’autres petits coins où Bruxelles sait encore bien brusseler

          Michel Ducobu