Marie-Bernadette Mars, Rhapsodie afghane, roman, Academia, 240 pp., 21 €

Un vrai roman-fleuve, de par la force du ton, de la conviction et de l’évocation. Je dirais même, plus volontiers, un roman dont le style évoque le mouvement de la mer, avec ses longues phrases, ses longues phrases montant, comme la marée, au fil de l’émotion, et de la conviction. Chaque vague vient recouvrir la précédente, la colère, la passion, la pitié se faisant de plus en plus insistantes, au fil des mots, des propositions, subordonnées, relatives et autres. Mais ce n’est, ce ne peut être, en aucun cas, un « magasin » de figures stylistiques ou autres. La vérité, la réalité, la cruauté, la souffrance, l’indignation, voilà, si vous préférez, les figures de style les plus familières en ce livre : tout est réel ici. Une présence constante, une émotion soutenue…
En voici un bel exemple, p.110 : « Elle est loin, elle est ailleurs, les maisons orphelines de portes, de fenêtres, d’habitants ne sont plus que murs à demi détruits, lézardés, calcinés, mais cette désolation surgit de tons tendres de rose, de bleu, d’ocre, dès les premières images la douceur côtoie la dureté, et elle laisse vibrer en elle cette dualité, qu’elle a perçue depuis longtemps, qu’elle a lue dans les yeux de celui qui garde le reflet de la beauté de Kaboul et la cicatrice de la violence qui l’a assailli et le film continue, et toujours la douceur des tons pastels, et toujours le déchirement des habitants, et elle retrouve tout, ce qu’elle a lu, ce qu’elle a entendu, l’envie de rester là soudée au désir de partir, le geste que l’on abhorre et la main qui saisit la pierre et la jette sur la femme qu’on lapide, et le remords, le remords, l’incompréhension de sa propre attitude, la peur panique de ce qui a surgi là, au plus profond de soi, à présent vivre avec cette honte, cette honte de soi, cette incompréhension. » Tout est réel ici, rien de truqué, elle seule, l’auteure, devant ce paysage de désolation, de bêtise, de cruauté, en contraste avec la douceur perdue. On songe, toute proportion gardée, à cette Dulle Griet courant à grandes enjambées au travers de la guerre et de ses horreurs.
Les personnages ? Celle qui parle, qui raconte, avec, en sourdine, la voix d’une amie ; lui, le réfugié, qui a dû quitter son pays, y laissant sa femme et ses deux enfants. Elle, enseignante, engagée dans l’apprentissage du français aux réfugiés. La différence d’âge entre eux est grande, elle est parfaitement consciente de l’anormalité de la situation, mais l’amour va naître, entre eux, en dépit des obstacles. Un apprentissage qui va durer, encore et encore, même après l’arrivée de la première épouse, les enfants restés en Afghanistan avec les grands-parents. Un sentiment de gêne entre les deux femmes, avant que naisse de Kimia un troisième enfant…Des vies bouleversées, et qui se rebâtissent, vaille que vaille, avec de nouvelles données…
Les choses sont dites, simplement, comme elles sont, la guerre, les ruines, la fuite, la passion, l’apprentissage…et cette sorte de résurrection…et la protagoniste qui termine sur ces paroles à son amie : « C’est mon histoire, mais c’est ton roman ».

L’auteure, Marie-Bernadette Mars, est philologue classique et bachelière en philosophie. Elle n’est pas allée en Afghanistan, mais son érudition est très étendue, et elle aime, en ses livres, montrer des personnages confrontés aux circonstances tragiques qui nous entourent et que nous côtoyons, parfois, sans nous en douter…
Joseph Bodson