Philippe Remy-Wilkin, Vertige ! Maelström, bookleg 81, 2019

 

Quand on a entre les mains un livre de Philippe Remy-Wilkin, on se demande sur quels chemins secrets – réels et/ou fantastiques – l’histoire va nous emmener, dans quel moment de l’Histoire belge on va être plongé. Sans compter que ses ouvrages livrent toujours des lectures à diverses dimensions.

Vertige ! Trente-quatre pages, éditées dans l’épatante collection des éditions maelestrÖm qui rend hommage à la ville de Bruxelles (bookleg Bruxelles se conte). Trente-quatre pages envoûtantes, vaguement angoissantes. Eblouissantes.

Un style bien rythmé (parfois des phrases tronquées/absence de sujet), brillant. Un récit en « je » avec, tout au long, en contrepoint, une voix intérieure, lancinante, une phrase sèche et dure qui revient hanter le narrateur, phrase découpée, triturée, lancinante et obsessionnelle comme le leitmotiv d’une symphonie. « Pour nous tu seras toujours une étrangère, écrivait ma mère (…) Tu vis dans ton monde, tes histoires, tes chimères, tu es égoïste (…)

Tout commence par l’invitation mystérieuse que reçoit par email un certain auteur : bénéficier d’une visite guidée pour découvrir l’Africamuseum de Tervuren. Le musée vient de réouvrir ses portes après plusieurs années de rénovation et surtout, après avoir été repensé, « décolonisé » (non sans quelques polémiques).

On s’y dirige pas à pas.

Belles descriptions de ces zones excentrées de Bruxelles. On s’y voit. D’intéressants rappels historiques nourrissent le récit, sans lourdeur ni excès d’érudition.  

« L’avenue de Tervuren ! Tracée avant l’Exposition de 1897 pour relier ses sites. Devant moi, deux bandes tombent du ciel, dévalant entre des flancs forestiers, séparés par une immense piste gazonnée, des allures d’autoroute. Dans sa plongée ultime, vers le Cinquantenaire, l’avenue redevient rectiligne, des Champs-Elysées oubliés, négligés, avortés- une mise en abyme de ce Bruxelles qui a laissé filer son mythe ? – (…) » Plus loin, « Le palais des Colonies, en clôture de l’avenue, un triangle frontal de temple grec, et le parc paysager, tout autour, l’ancien domaine royal, qui déroule ses premiers méandres (…) ». Encore un peu plus loin, « Une allée interminable, coupée par mille autres (…) En contrehaut, derrière un alignement étagé d’étangs et de pelouses signant une langue de monstre, une merveille architecturale (…) »

On y entre pas à pas.

Le lecteur est pris par la main. L’impression étrange de recommencer ma visite du musée, car il se fait que je m’y étais rendue moi-même en septembre dernier. Ce passage sur la petite salle où sont rassemblées les statues de personnages de la colonisation, explorateurs, officiers…, bannies. Le narrateur est fasciné par sa « compression », « un cimetière ou des limbes ? », et fait en cela écho à mes propres sensations. Et l’homme-léopard, menaçant, qui « pétrifie » le héros du livre : il me faisait si peur, petite fille, que je redoutais presque de le revoir !

En quelques lignes précises, le temps d’une poignée de rencontres durant la visite guidée, Philippe Remy-Wilkin revient à la période de la colonisation, sur « les pour et les contre »…

Le « Je « du livre observe, écoute les uns et les autres, réagit en son for intérieur, s’interroge au plus intime de lui-même. Pressent qu’ici se trouve peut-être la clé de sa propre énigme. Il songe à sa propre vie, à ses parents, à leur retour en Belgique, « jamais réacclimatés en nos terres, se vautrant toute leur vie dans l’amertume, la rancœur d’un destin brisé. Fuyant famille et amis ». On devine des blessures d’enfance. Il repense à tous les non-dits, à ses relations difficiles avec sa mère, à un certain secret de famille qui lui a été révélé un jour …Et qu’il n’a pas voulu approfondir.

« La vie concrète, c’est hic et nunc. Non pas d’où on vient mais ce que l’on fait, vers où on va, avec qui l’on va. Suis-je trop lucide de ne pas donner plus d’importance à du contingent ? Trop pragmatique de maintenir le fil romanesque en vie comme carburant ? »

On avance pas à pas.

On creuse plus loin dans une intrigue qui se fait presque haletante ; sa propre histoire le rattrape. Le dénouement est encore inconnu, mais on y va. Inexorablement. Vertige…

Le « Je » du livre, l’auteur du bookleg ? (Je sais de lui qu’il est né Bruxelles juste après le retour de ses parents du Congo). En partie, sans doute… Une pierre de petit Poucet, abandonnée comme par mégarde : ce clin d’œil au prix qu’il a reçu pour un précédent ouvrage (le prix Gilles Nelod, attribué en 2018 par l’Association des Ecrivains Belges, pour Matriochka).

Je me souviens de son émotion, ce jour-là, lorsqu’il a remercié le jury ; il nous avait appris que sa mère venait de décéder. La veille…comme la mère du narrateur.

 

Martine Rouhart