Sonia Elvireanu, Le silence d’entre les neiges de Sonia Elvireanu éd L’Harmattan poésie 2018.
Préface d’Isabelle Poncet-Rimaud.
Postface de Denis Emorine.

« J’ai crié ton nom, tu n’étais nulle part » : c’est presque ainsi que commence cet écho vibratoire de l’amour perdu. On sait ce choc immense sans mesure et pourtant la poète va lui offrir un contexte renaissant à l’éveil, à la recherche d’une lumière blanche, celle qui aveugle tellement qu’elle repousse le cri, le laissant dans la gorge du temps positionné en images figées pour l’éternité.

La pure neige servira d’encensoir à la page blanche des mots. Le nom du disparu se fera chaque pas dans la neige, « traces grandissantes » de ces silhouettes qui ressemblent à des fantômes à souvenirs.

« In nous reste le silence » dit Sonia. Un silence qui fond sur la page comme un flocon disparait sur une surface chaude, y laissant la tache d’eau espérant l’éclat d’une autre vie possible ou ailleurs.

Comment ne pas songer à cette phrase d’Yves Montand après la disparition de Simone Signoret : « On ne refait pas sa vie, on la continue » ? Le bagage, ici, est silencieux. Il n’en est pas moins lourd pour autant avec des « souvenirs qui arrachent, brûlent, dévorent dans la solitude ».

Le sursaut de vie passe parfois par l’au-delà révélé « dans le grain d’une fleur » ou la ligne d’horizon qui nourrit le souvenir dans l’éternelle présence inaccessible. Chaque mot, chaque évocation a pour prétexte une présence rendue exacerbée par son inaccessibilité, l’absent étant parfois rendu plus vivant que l’être qui parle, les corps étant remis en question au profit de l’ombre commune, les souvenirs reprenant vie telle la Genèse, entre azur et argile, éboulis de cailloux, références bibliques ou encore temples blancs donnant sur la mer Egée.

A force de souvenirs, la présence nous apparait en 3D comme ces images de temples détruits et qu’on nous propose dans certains musées reconstruits en hologramme. Car, en effet, il y a cette translation de l’âme qui nous reconstitue ici ce corps aimant et aimé.
L’auteur, malléable dans sa persévérance, insiste également sur l’argile, terre sèche mêlée à la grandeur de ses larmes qui, au lieu de pleurer, contribuent à la permanence (« je cherche dans l’air comme un aveugle l’empreinte de l’argile atteinte par la mort »).
Ces références au passé vont construire le futur, les états de lieu et de temps étant entièrement abolis. Subsiste cette sorte de continuité bâtie sur l’ADN du souvenir, l’évocation du disparu ressemblant parfois à un film de vacances entre le bleu vivant des yeux et celui de la mer Egée, bleu propice au souhait du mythe :
« Crois-tu que nous serons un beau jour des violons en déclin ou peut-être que des murmures de clavecin écrasés par les pleurs ou extase en Nocturnes, vertige musical George Sand et Chopin ? ».
Beau « silence d’entre les neiges » pour cette Pénélope de l’adieu qui n’attend pas en vain puisque l’être aimé, plus présent que jamais, a de belles aubes devant lui (« A chaque tombée du soir je suis toujours plus loin, mais si près de toi, mon amour »).
Même et peut-être à cause de la perte, la lumière éclairera l’ombre : « Ne me laisse pas périr, mon amour fais-moi ressentir la lumière jusqu’ à la fin que mon jardin, mon paradis, me rende ivre de vie ».

L’arbre, le pommier et la pomme se font souvenirs ainsi à transcender l’éternité, bouclant en quelque sorte la pomme d’Eve tendue à l’amour perpétuel, geste éternel figé dans la certitude, avec ou sans Dieu, que nous ne sommes que des poussières d’étoile.

Patrick Devaux